À l’origine, la Sequanie, terre celte qui fut progressivement transformée en province gallo-romaine, va voir s’implanter le latin populaire et c’est ce dernier qui, entre les Vosges et le Jura, évoluera jusqu’au Moyen Âge pour devenir la langue franc-comtoise. Cette lingua vernacula gagnera du terrain vers le sud pour se fixer sur les rives de la Loue, de là l’existence du dialecte de Besançon présenté dans notre troisième comtoiserie. Mais revenons aux confins des Vosges pour comprendre celui de Montbéliard, dont les caractéristiques nous sont expliquées par Charles Contejean en 1876 dans son Glossaire du Patois de Montbéliard :
« Notre patois est peut-être le plus spécial, le mieux caractérisé, le plus riche en expressions propres, le plus grammaticalement correct […] en résumé, les caractères du patois de Montbéliard sont : une grande simplicité, une remarquable naïveté, une étonnante richesse de vocabulaire en ce qui concerne les choses les plus rustiques, une pénurie sans seconde pour le reste. »
Cette identité marque une proximité sans équivoque avec l’ajoulot, le dialecte de l’Ajoie devenu notre franc-comtois moderne. Comme lui, il possède les sons « tch », « dj », « dg ». Enfin, autre particularité, le dialecte s’est divisé après la Réforme entre une forme catholique, réputée plus francisée, et une forme protestante, réputée plus archaïque, car à la prononciation plus lourde et plus désagréable. Une particularité due à la fréquentation des paroisses et communautés de villages, au gré des offices religieux.
Pendant longtemps, Montbéliard fut une principauté appartenant aux princes de Wurtemberg. Mais une principauté de langue et de culture franc-comtoise, comme le Territoire de Belfort voisin qui, lui, fut législativement alsacien mais toujours culturellement comtois. Pour preuve du fait comtois, l’événement fondateur du village de Frédéric-Fontaine : en 1588 le prince Frédéric 1er de Wurtemberg se perd en forêt lors d’une partie de chasse et trouve refuge près d’une source dans une clairière, en attendant de retrouver ses gens. Le prince rentra sain et sauf à Montbéliard et, en souvenir de cette partie de chasse, il nomma le lieu Friderischsbron, traduit en français par Frédéric-Fontaine. Mais en franc-comtois, la langue d’usage de la population, le village portera un autre nom : Lou Nô-Velaidge (Le Nouveau-Village). De même que c’est en franc-comtois que l’on évoquera l’incarnation d’Henriette de Montbéliard, descendante de la grande famille comtoise des Montfaucon : lai Tainte Airie (la Tante Arie). Et c’est encore en franc-comtois que la population sera nommée Trissus (les chieurs) ; une population composée de bouebes (garçons) et de diaichottes (jeunes filles), ces dernières portant lai câle ai diairi (le bonnet à chignon).
Cependant, le dialecte est aussi caractérisé par l’emploi d’un nombre important de germanismes et il reste à savoir d’où ils viennent : influence des prince de Wurtemberg ? proximité avec l’Alsace et l’évêché de Bâle ? arrivée des anabaptistes suisses du canton de Berne ? création de l’éphémère département du Mont-Terrible lors de la Révolution française, composé de l’ancienne Principauté de Montbéliard et du Pays d’Ajoie ? Certainement un peu de tout ça ! À la fin du XIXème siècle, Auguste Vautherin, dans son Glossaire du Patois de Châtenois, nous donne un début d’explication en validant deux hypothèses, soit l’influence des princes de Wurtemberg et l’arrivée des mennonites au début du XVIIIème siècle :
Le suffice li ou i, à Châtenois, nous paraît venir de Montbéliard, où régnèrent si longtemps des princes allemands qui ne se nationalisèrent jamais, sans cesse renouvelés par des membres nouveaux venus de Wurtemberg. La réforme religieuse allemande, imposée par eux et exercée en partie par des étrangers de langue allemande, augmente le nombre de mots étrangers qui se trouvent surtout dans le patois de la ville de Montbéliard.
Auguste Vauthrin nous livre finalement en deux phrases un véritable condensé des caractéristiques du dialecte de Montbéliard : la présence du suffixe li équivalent à l’allemand lein présent dans les prénoms : Djeanneli (petite Jeanne), Maréli (petite Marie) Sameli (petit Samuel), Piereli (petit Pierre) et les « mots étrangers », en fait de l’alémanique : lou quaisse (le fromage / käse), lai crumpiere (la pomme de terre / grumbeere), lai gaise (la chèvre / geiss), lai gosse (la ruelle / gass), l’erba (l’automne / herbst), lai ganzai (l’oie / gänse), lai felmouesse (la compote de pommes / apfelmus).
Cependant, Charles Contejean fait remonter ces germanismes à une période plus ancienne, les annonçant comme communs à l’ensemble des langues d’oïl. Mais par logique de proximités géographique, administrative et religieuse, le dialecte de Montbéliard ne pouvait alors qu’en comporter davantage : « Il est naturel que le Pays de Montbéliard, gouverné pendant plusieurs siècles par des souverains allemands, ait adopté une foule d’expressions surajoutées à celles de l’ancien fond germanique commun à toutes les provinces de l’Est. On distingue aisément ces mots d’instruction moderne, parce qu’ils ne sont guère usités qu’à Montbéliard et dans la banlieue protestante ».
Mais devenu français en 1792, le Pays de Montbéliard n’échappera pas au déclin des langues régionales et cela dès le XIXème siècle. L’alerte ne pouvait être donnée que par Charles Contejean, toujours en 1876 : « Les patois disparaissent […] D’habitude, nos pères s’entretenaient en patois : alors l’idiome rustique était à peu près également usité à la ville et à la campagne. Les hommes de ma génération entendent encore le patois, mais ne le parlent plus dans les villes ou ne le parlent que difficilement ; cette langue est devenu complètement inintelligible à nos enfants, et dans un avenir assez prochain le français régnera sans partage ».
Les prédictions de Charles Contejean se sont malheureusement révélées justes et rien n’a pu arrêter le déclin du dialecte. Ni les textes de « chansons patoises » édités par John Viénot et la Société d’Émulation de Montbéliard en 1895 ; ni le conte Ulysse et Climène publié en 1949 par Madeleine et Georges Becker ; ni les livrets du Nouveau Diairi à la même époque ; ni la création de la chorale du Diairi en 1958. Cependant, le dialecte est encore présent aujourd’hui en filigrane avec l’Union des Patoisants en Langue Romane de Banvillars (Territoire de Belfort) dont des membres avaient traduit en 2007 la Déclaration des droits de l’Homme. Enfin, Pays de Montbéliard Agglomération a bien tenté d’éditer un petit livret en 2013 nommé Laissez-vous conter le Patois du Pays de Montbéliard mais, bien que très intéressant, celui-ci véhicule les sempiternels clichés que nous avions dénoncé dans notre quatrième comtoiserie et surtout ne mentionne jamais le terme de langue franc-comtoise.
Comme à Besançon donc, le dialecte ne semble pouvoir être sauvé, mais reste l’usage du franc-comtois moderne et les initiatives pourraient être nombreuses. Mais l’on se demande pourquoi Peugeot, le FCSM, la ville et l’agglomération de Montbéliard n’ont jamais pris l’habitude de communiquer en franc-comtois ? Le FC Sochaux-Montbéliard justement, il est dans son intérêt d’intégrer le franc-comtois à son image, ne serait-ce que par une simple écharpe officielle qui de sûr ravirait les fans des Djâne & Bieu. Pour le reste, publicité, support textile ou encore signalisation bilingue sont tout autant d’atouts économiques dont le Pays de Montbéliard devrait jouer rapidement au risque que tout se perdre à jamais… raivise t’en !
Illustration d’en-tête : portrait de Tante Arie, en 1880.