À l’aube du nouveau millénaire, l’internet pénétra progressivement dans presque chaque foyer de la Comté. Désormais, l’ordinateur, la tablette numérique et le téléphone portable permettent d’accéder à une chose qui peut révolutionner l’usage des langues régionales si les erreurs du passé ne sont pas répétées : l’intelligence artificielle, alias l’IA !

C’est que l’intelligence artificielle permet déjà d’entrevoir un futur. Un futur qui aurait pu déjà être notre passé depuis longtemps si nous ne nous étions pas interdit de l’imaginer et de le créer. La signalisation bilingue, tant absente de nos paysages francs-comtois, est de ce cas. Aujourd’hui, une intelligence artificielle comme ChatGPT peut rapidement créer une photo montrant une signalisation bilingue complète et réaliste. Toute une population peut ainsi découvrir à quoi ressembleraient les rues de Belfort, de Vesoul, de Besançon ou de Dole si elles étaient entièrement dotées de plaques de rue bilingues français/franc-comtois. Idem pour les panneaux d’entrées et sorties d’agglomération, les panneaux directionnels des routes départementales ou nationales, voire même d’autoroutes, ou la petite signalétique des gares ou des sites touristiques. Demandez à ChatGPT de créer une photo montrant un seul panneau avec écrit dessus Champagnole en français et Tsampagnola en arpitan, et il vous le fera en quelques secondes ! C’est ainsi un monde imaginaire qui peut devenir rapidement réel si l’usage non-abusif de l’IA emmène à une prise de conscience générale en faveur de la transmission des langues régionales.

Mais l’intelligence artificielle peut encore emmener plus loin, si la technologie permet alors de transformer le texte en voix et si cette dernière est mêlée à la robotique. Ainsi, ce n’est plus de l’ordre de la science-fiction que de voir d’ici quelques années un robot parlant franc-comtois ou arpitan. La méthode est simple : une intelligence artificielle est intégrée à son système. Avec ce programme comprenant des milliers de mots de vocabulaire, de la conjugaison, de la grammaire, notre robot n’a alors aucune difficulté à assembler des mots pour faire des phrases et ainsi parler parfaitement nos deux langues régionales tout en bougeant chaque partie de son corps.

La science-fiction a imaginé depuis longtemps des technologies destructrices ou au contraire, bienfaisantes avec l’humanité. C’est cette dernière vision que votre chroniqueur a choisi pour vous donner un aperçu unique d’un essai de dialogue en franc-comtois avec Grok 3 du réseau social X, en date du 12 mai 2025 :

Billy : – Bondjoué Grok. C’ment çoli vait adjed’heû ?
Grok : – Bondjoué ! Çoli va bin, mèrci ! Et twé, koman tu vas adjed’heû ?
Billy : – I vais bïn, grand mèchi. Te veus aippâre è djâsaie frainc-comtou daivô moi ?
Grok : – Ouè, bïn seur ! I seus prêt à djâsaie frainc-comtou daivô twé. K’ès-tu veus pâre ? T’as eune histouère, eune blague, ou bin kékchose d’ôte à côsaie ?
Billy : – Des fïns meus. Te peus trâdure ces déche mouts de frainc-comtou en frainçais ? Vaitche / Hanne / Pieudge / Tchait / Roudge / Âve / Laicé / V’laidge / S’raye / Tchété.
Grok : – Bïn seur, v’la les traductions des mouts en frainc-comtous en français :
Vaitche : Vache
Hanne : Femme
Pieudge : Pouce
Tchait : Chat
Roudge : Rouge
Âve : Avec
Laicé : Laisser
V’laidge : Village
S’raye : se rayer (gratter, érafler)
Tchété : Chuter (Tomber)
Si t’as d’ôtres mouts ou kékchose d’ôte à d’mander, fais-mô l’signe !

Le résultat est assez stupéfiant, malgré les nombreuses erreurs commises par cette intelligence artificielle dans l’usage du vocabulaire ; ainsi semble-t-elle vouloir rapprocher son style littéraire du français régional ou d’une autre langue d’oïl comme le picard. Mais l’IA a déjà assimilé définitivement quelques mots de vocabulaire et de la conjugaison comme « i seus » (je suis), et même s’auto-corrige quand elle passe en deux phrases de « bin » à « bïn » (bien). Concernant l’exercice de traduction, elle n’a trouvé que quatre mots sur dix (vache, chat, rouge et village) et ses erreurs, causées par une ressemblance de prononciation ou d’orthographe, sont proches de celles que ferait un être humain ; mais le résultat est plus qu’encourageant. D’ailleurs, comme l’IA, veuillez retenir ces mots : hanne signifie homme, pieudge signifie pluie, âve signifie eau, laicé signifie lait, s’raye signifie soleil, tchété signifie château.

Ce résultat, c’est la maîtrise de la langue à travers la collecte de données. Ainsi, l’IA pioche des informations ici et là dans le corpus littéraire et les différents sites internet dédiés à la langue, dont celui du Djâsans en Suisse, emmagasinant du vocabulaire. Le progrès par l’entraînement ! Comme l’être humain, la machine apprend une langue selon les informations qui lui sont transmises. Cependant, parce que les langues dites régionales ou minoritaires ont été moins documentées que les langues internationales comme l’anglais ou le français, l’IA est alors très gourmande en données lors de ses recherches, et donc en énergie. Mais la technologie devrait s’améliorer avec le temps comme ce fut le cas avec les ordinateurs et les téléphones portables que nous utilisons chaque jour.

Quant aux autres langues minoritaires, sachez que ChatGPT parle très bien breton. Et pour la langue bretonne justement, des chercheurs du Pays de Galles et de Bretagne développent actuellement un projet d’IA dirigé et financé par le gouvernement gallois. Le député du Morbihan Paul Molac, relatant l’évènement sur son site internet, ne cache pas son enthousiasme : « Au-delà de la prouesse technologique, je vois surtout en cette intelligence artificielle un moyen supplémentaire pour l’épanouissement du breton, et des langues régionales de manière générale ». Plus au sud, de chaque côté des Pyrénées, le programme Linguatec-IA porté par des chercheurs des Universités de Toulouse, Perpignan, Pau, Bilbao et Pampelune, développent des outils linguistiques d’IA en occitan, basque et catalan. À travers ces deux programmes internationaux, plusieurs utilités sont souvent citées : traduire, sous-titrer et faire de la reconnaissance vocale, entre autres.

Au XXe siècle, les langues régionales de Franche-Comté avaient raté le grand bond technologique de la radio et de la télévision, car exclues des programmes. Désormais, au XXIe siècle, les choses ont changé, dans chaque outil connecté à internet se cache désormais un pouvoir individuel et collectif favorable à imaginer la présence du franc-comtois et de l’arpitan dans l’espace public, afin de favoriser leur transmission. Le retard peut encore être rattrapé tant l’IA peut offrir d’opportunités extraordinaires si elle est bien utilisée et si les relations humaines ne sont pas négligées. Aussi, face à l’accélération technologique, cette comtoiserie pourrait s’achever par l’annonce funeste du soulèvement des machines, mais la fin choisie est finalement celle d’un retour vers le futur !

Illustration d’en-tête : panneau d’entrée de ville bilingue français/franc-comtois, réalisé avec l’intelligence artificielle.

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