Je suis conseiller du salarié depuis un an et demi, c’est une mission qui est accessible aux citoyen·ne·s volontaires pour remplir une mission d’assistance aux salarié·e·s qui en font la demande. En ce qui me concerne, j’ai été introduit par le biais de mon syndicat, la CGT, et formé grâce au congé de formation syndicale et au soutien de celles et ceux qui avaient une expérience en la matière.
Pour rappel, en l’absence d’Instances Représentatives du Personnel (IRP) dans son entreprise, souvent incarnées par un Comité Social et Économique (CSE), tout·e salarié·e qui serait convoqué·e dans le cadre d’une rupture conventionnelle ou à un entretien préalable à un éventuel licenciement (économique, inaptitude, faute ou motif personnel divers) a le droit de se faire assister par un conseiller du salarié, agréé selon un arrêté préfectoral en vigueur pour un mandat de trois ans.
Le but est de vérifier la régularité de la procédure et d’apporter les meilleurs conseils à l’intéressé·e (suite à donner aux événements, indemnités, chronologie, recours, droits du travail…), mais également d’assurer une médiation lors de l’entretien préalable, qui peut être un moment éprouvant et/ou de fortes tensions pour les deux parties. De plus, en cas de litige et/ou d’irrégularités de procédure, le conseiller du salarié sera en mesure de demander des précisions à l’employeur et de fournir un compte-rendu de l’entretien afin d’apporter des éléments pouvant concourir à la recherche de responsabilité des parties en cause.
Cette mission bénévole est prévue par le code du travail et s’inscrit dans un cadre précis, je peux la substituer à mon activité professionnelle dans une enveloppe de 15h mensuelles maximum. En revanche, en cas de présence d’IRP dans un établissement, le/la salarié·e ne pourra se faire assister que par une personne faisant partie intégrante de son entreprise (membre du CSE ou salarié·e) ; l’employeur est strictement soumis à la même règle mais ne peut faire appel à un conseiller du salarié.
L’importance de cette mission
Dans la vie judiciaire en France, la présomption d’innocence est un principe fondamental. En droit du travail, elle n’existe pas. Je sous-entends par cette phrase qu’un licenciement peut être prononcé par l’employeur, sans que celui-ci ne repose sur des éléments suffisants pour le justifier. Le/la salarié·e peut donc être condamné·e, après son entretien préalable, à être licencié·e sans plus de vérifications. Charge à ellui, après son renvoi donc, de réclamer justice afin que son « innocence » soit révélée et qu’une réparation (souvent plafonnée) soit prononcée.
Ce renversement de la « norme » amène quantités de dérives et de licenciements non justifiés, les salarié·e·s préférant souvent passer à autre chose plutôt que de se battre dans une procédure pouvant être longue, complexe et peu compensatrice au vu des préjudices subis. Mais en matière de luttes et de droits, ce sont nos renoncements qui amènent au recul de nos acquis à grande échelle. Il m’apparaît donc fondamental de se saisir de l’ensemble des moyens en notre possession pour assurer la meilleure réponse face à toutes les injustices, maintenir ces moyens d’action en place mais aussi, pour tendre à une amélioration globale des conditions de travail et de traitement dans les entreprises et au-delà.
Car ces mêmes renoncements fertilisent également le terreau du sentiment de toute-puissance et de légitimation d’actes ignobles aux lourdes conséquences de la part d’entrepreneurs·euses trop souvent peu scrupuleux·euses. Cette gangrène antipathique et illégitime deviendra alors le nouveau leitmotiv de l’entreprise, elle affectera inéluctablement le traitement de vos ancien·ne·s collègues et distillera son ADN destructeur au-delà des limites de l’établissement. En sus de cette nécessité d’action et de résistance, j’ai à cœur d’accompagner au mieux les salarié·e·s qui me sollicitent et me font confiance tout en respectant les moyens d’agir de chacun·e. ; le principal étant toujours de trouver le meilleur moyen de rebondir, de faire la part des choses et/ou de trouver réparation.
Freins ou difficultés dans l’exercice de cette mission
Je rencontre souvent des salarié·e·s impliqué·e·s dans leur travail, qui veulent bien faire, faire juste, et pour beaucoup, depuis de nombreuses années. Malheureusement, à la première anicroche avec la hiérarchie, au premier incident de vie débordant un tant soit peu sur la productivité ou la ponctualité, le plafond de verre s’écroule et la bonne entente et sa carrière que l’on croyait pérenne avec. Les raisons peuvent être variées, cela peut également venir de réclamations légitimes sur les salaires, les horaires, les conditions de travail, les équipements de protections, parce que l’on n’accepte pas la modification incessante des plannings, le manque de coordination ou de dialogue, le manque de personnel, de formations… Il suffit d’une fois pour que cela amène à des rapports conflictuels entre salarié·e et direction, pour être « placardé », parfois sur plusieurs années.
Complexifiant ainsi les parcours, les rapports et la motivation, jusqu’à l’épuisement professionnel. Harassé·e·s, souvent poussé·e·s à bout par des manœuvres internes et insidieuses, ne connaissant qu’insuffisamment leurs droits et pris dans le quotidien, les salarié·e·s finissent par abdiquer et vouloir tirer un trait, étant dans l’impuissance de mener une action pour faire valoir leurs droits. Il en va de même quand les salarié·e·s changent régulièrement d’entreprise avec l’espoir de trouver celle qui offre les meilleurs avantages et/ou conditions. Cela est parfaitement compréhensible et normal, surtout dans un contexte profitable (en surface) aux salarié·e·s. Mais à grande échelle, le « turn over » a la même conséquence que le renoncement et favorise donc la même régression sociale et juridique.
Une des autres difficultés rencontrées dans mon quotidien est la conciliation entre mes vies professionnelle et personnelle, car cette mission ne s’arrête pas à l’assistance du salarié le jour J, mais également à la tenue d’entretiens préparatoires, la rédaction de comptes-rendus, le suivi de l’affaire dans le temps, l’intendance… Seuls les entretiens préparatoires et préalables aux éventuels licenciements sont pris en compte dans le forfait légal dont nous disposons sur notre temps de travail, nous prenons donc sur notre temps personnel pour répondre au mieux aux sollicitations.
Mes attentes ou besoins
Je ne reviendrai pas sur l’importance de combattre collectivement les injustices en entreprise ou ailleurs, dans le but de soutenir nos collègues et de maintenir l’ensemble de nos acquis. Mais il m’est fondamental de souligner l’importance de la mission du conseiller du salarié, qui s’inscrit dans toutes les possibilités d’accompagnements qu’offrent encore aujourd’hui associations, syndicats ou législations, en cas de licenciement et au-delà. Malheureusement, trop souvent méconnues. De même que certaines appréhensions ou clivages vis-à-vis des syndicats, ceux-ci peuvent toujours se discuter, mais ne perdons pas de vue les enjeux et conséquences sociales et humaines.
À l’instar d’une assurance habitation, les syndicats ou les missions d’assistance aux salarié·e·s sont des moyens de faire face à la pire des situations. Mais attention, car à défaut d’avoir pris connaissance des petites lignes, de ne pas s’être informé suffisamment au préalable de ses droits et devoirs, des documents à fournir… On peut apprendre, trop tardivement – et à ses dépens – qu’il n’y aura plus la possibilité de sauver les meubles, même avec la meilleure assistance. Si je devais conclure, je le ferais par une citation : « C’est en pratiquant les actions justes que nous devenons justes, en pratiquant les actions modérées que nous devenons modérés, et en pratiquant les actions courageuses que nous devenons courageux ». Aristote, Ethique à Nicomaque.
Paco Guardado.
Illustration d’en-tête : « Fabrication de l’acier », E.F. Skinner, 1917, Musée des sciences de Londres – Mark Cartwright/CC BY-NC-SA.