En Franche-Comté, ielles sont une poignée à officier durablement… Rodho, bien sûr, Peha, au Ch’ni, ou encore Berth, sans doute le plus connu. C’est ce dernier que nous avons rencontré pour notre portrait du mois, l’enrôlant pour une entrevue le jour de son anniversaire. Derrière une existence paisible, s’esquisse le parcours d’un dessinateur de presse inattendu. Si il est né à Lons-le-Saunier le 23 mai 1967, Christophe Bertin, de son état-civil, a gagné la ville de Besançon, où il a grandi du côté de Palente. Une enfance somme toute assez classique, entre une mère instit’ et un père travaillant pour les « Télécoms ». Aucune prédisposition familiale ne l’a initié à l’art, mais il l’affirme « au plus loin que je me souvienne, j’ai toujours dessiné ».
Mais, tout de même, son environnement a fini par jouer sur ses perspectives professionnelles. « J’ai baigné dans le monde de la bande dessinée, avec l’Écho des savanes ou l’incontournable Hara-Kiri. Quand on se figure un tel imaginaire tout juste adolescent, ça laisse forcément des traces ! Les fanzines de lycée et mes velléités comme objecteur de conscience ont fait le reste, rapidement j’ai voulu me diriger vers cette activité. Après un baccalauréat je me suis donc inscrit à l’université, pour pouvoir être pion. C’était la condition à l’époque, moi ça me permettait de gagner un peu ma vie tout en ayant quand même du temps pour faire ce que j’aimais. Les années sont passées, mais je n’ai jamais eu l’intention de vraiment poursuivre dans l’enseignement supérieur ! » admet-il.
Tout bascule à vingt-huit ans, quand il se lance concrètement dans ce projet insensé. Inconnu de province, sans piston et dépourvu de la moindre formation spécialisée, l’aventure a tout du crash. « Je me suis rendu à Paris, pour faire le tour des rédactions. Certain·e·s m’ont pris une illustration ou deux, probablement par pitié. Mais j’ai continué, plus par inconscience que pugnacité. Jusqu’à trouver des oreilles attentives, auprès de Cavana, Luz, Charb… Il faut le dire, j’ai surtout eu beaucoup de chance. Combien d’autres talents sont restés sur le bord de la route, malgré un potentiel ? ». « La Grosse Bertha », « L’Idiot international », « Fluide Glacial », « Psikopat », « CQFD », « Spirou », « Chien méchant », « Zoo », ou encore « l’Humanité », les collaborations s’enchaînent.
Localement aussi, on a pu le retrouver plus récemment dans « l’Estocade » à Vesoul ou « l’Est républicain » sur la région. Mais c’est surtout avec « Mon quotidien » qu’il a pu définitivement s’installer, à vingt-huit ans. « Charb avait créé ce journal en 1995, mais comme il voulait se barrer courant 1998, on m’a proposé de reprendre un peu le bébé. Ce poste m’a permis d’avoir une assise et un salaire stable, un luxe devenu presque inenvisageable en 2025. Depuis, je continue tranquillement mon bout de chemin. Mon trait est extrêmement simple, c’est d’ailleurs peut-être un regret de ne pas l’avoir perfectionné et tenté des choses plus abouties sur le style. Mais tant que j’arrive à matérialiser un sujet, amener à la réflexion et faire rire par le décalage, c’est réussi » s’enthousiaste t-il.

Fort d’une impressionnante bouteille, Berth peut d’autant plus se livrer sur les changements de paradigmes qui agitent le milieu. Transformation néfaste des médias, émergence du web et de l’intelligence artificielle, aseptisation des débats publics… « Parfois, je me demande si je suis un dinosaure. Car en cinquante ans, tout est très différent. La promesse d’un Internet libre s’est cassé sur des réseaux sociaux aux tréfonds peu ragoûtants, donc difficile de dire si on y est gagnant·e·s. Après, il y a du mauvais, mais aussi des adaptations normales. Moi-même j’ai dû progresser, ne serait-ce que par rapport au besoin d’une représentativité plus paritaire par exemple. Alors pour rester dans mon humour, j’ai tranché : Une paire de seins, une paire de couilles ».
Une légèreté grinçante, qui n’est pas de tout repos. « En interne, on est quand même emmerdé·e·s. J’essaie de cadrer mes pinceaux en fonction de la ligne éditoriale, mais parfois ça gueule. Genre sur le conflit israélo-palestinien, je perçois bien qu’il y a des sensibilités. Et puis, ça peut aller plus loin. J’ai illustré une affaire de suicide liée à un harcèlement scolaire il n’y a pas longtemps, la famille de la victime considérant que l’établissement n’avait pas fait ce qu’il fallait. À une question posée sur comment l’éducation nationale gérait ce problème, la réponse faite était écrite avec une corde. Le proviseur, cité dans l’article, a lancé une procédure, visant également mon œuvre. J’ai expliqué quel fut mon taf, donc je suis plutôt serein. Mais c’est mon premier procès, ça reste compliqué à vivre ! »
Sur ses milliers de propositions, en effet, Berth n’avait jamais eu trop de galères, jusqu’ici. Ses ultimes déboires judiciaires marqueraient-ils un signe des temps, alors que la liberté d’expression est régulièrement remise en cause ? Verdict le 10 juin prochain. Mais aux sociétés jugées trop susceptibles, il ne néglige pas non plus les détournements autoritaires et discriminants. « Quoi qu’on publie, on a une responsabilité. Je ne me revendique pas militant, mais j’assume mes attaches plutôt humanistes, libertaires, de gauche. On avait déjà des Konk qui sont passés du Monde à Minute, il y a toujours des gens comme Marsault, qui trouvent d’autant plus un public que ses qualités sont limitées. Quand on passe du gag à la propagande surtout brune, ça commence à puer ».
Illustration d’en-tête : Vision de Berth sur la guerre en Ukraine, 2022.