La trentaine, ouvrier du bâtiment, fixé dans une maisonnée à une quarantaine de minutes de Besançon… Karim Touil est désormais « posé », loin du fast de la capitale comtoise. Mais il y a quelques jours, l’actualité l’a ramené presque quinze ans en arrière. Sur une journée d’hiver dans le vieux-centre, où le planoisien est violenté par un policier après un énième contrôle d’identité. Le coup de trop, qui le précipite auprès d’une association puis dans les arcanes judiciaires. Un combat qui vient tout juste de se dénouer, avec la condamnation de la France devant la « Cour Européenne des Droits de l’Homme » (CEDH). Une vie ordinaire qui bascule et se conclut par une décision historique, c’est notre portrait du mois.

Depuis jeudi dernier, son téléphone n’arrête pas de sonner. « France 2 », « M6 », ou encore « Mediapart »… Une effervescence soudaine que goûte peu Karim, préférant miser sur un quotidien paisible qu’il n’entend pas mettre entre parenthèses. « Je n’ai donné aucune suite à la presse, je ne souhaite pas m’exposer davantage. Maintenant, tout ça est un peu derrière moi » nous explique-t-il. Seule exception consentie, une parole accordée au média local et indépendant « le Ch’ni ». « Par confiance et camaraderie » précise-t-il, l’occasion d’indiquer que le jeune homme est aussi un ami d’enfance du directeur de la publication. Lequel, avant d’être journaliste, fut un témoin direct du dossier soulevé, intervenant en soutien des recours intentés, aujourd’hui dans la lumière.

Tout commence le 1er décembre 2011, lorsque Karim se promène tranquillement dans le centre-ville de Besançon avec quelques proches de son quartier. Le secteur est alors placé sous arrêté préfectoral, les « Compagnies Républicaines de Sécurité » (CRS) rôdant pour maintenir l’ordre. Sirotant une boisson place du Huit-Septembre 1944, le groupe est immédiatement appréhendé. Contrôle d’identité, fouille des effets personnels, sermons verbaux… Une routine à laquelle sont alors assujettis les citoyen·ne·s de Planoise, la mesure les frappant systématiquement depuis une semaine dès qu’ielles posent le pied dans la Boucle. Cette fois, néanmoins, les choses dérapent rapidement, entre remarques grossophobes et coercitions physiques de la part d’un agent.

Loin de se laisser intimider par ces méthodes, Karim explicite sa volonté de déposer plainte. Il est alors embarqué au motif « d’outrages », l’uniforme exposant de prétendues insultes à son égard. Malgré les témoignages, notamment de passant·e·s, seul « MaCommune.info » relate l’incident. Une bataille s’engage néanmoins, avec le concours de l’association « Stop le contrôle au faciès » présidée par Sihame Assbague. Après une suite d’audiences interminables et de verdicts négatifs, l’histoire aurait pu s’arrêter là. « Nous avions perdu toutes nos poursuites, jusqu’au conseil d’État. Pour moi, les choses n’iraient pas plus loin. Mais l’équipe constituée s’est montrée confiante, m’incitant à ne pas lâcher. Pour elleux l’éclaircie était plausible, mais ne pouvait arriver qu’en dernière instance ».

Et effectivement, l’annonce de la « CEDH » est intervenue comme une véritable déflagration. Si l’institution ne se prononce pas sur les violences policières, écarte l’idée d’un racisme structurel et ne remet pas en cause le principe même du contrôle, elle consacre en revanche un abus caractérisé dans l’exercice répétitif et ciblé contre une personne racisée. « Si on fait la balance entre les demandes et le résultat, on peut voir seulement la coupe à moitié pleine. Aussi, dix ans, c’est long, depuis je n’attendais plus à rien, je suis passé à autre chose. Mais je suis quand même content, comme le reste de ma famille. À défaut de me bouleverser, cette affaire pourra servir à d’autres. Un dénouement pareil, je crois que c’est une base appréciable pour les prochaines générations ».

À l’époque, Karim avait tout juste vingt ans et débutait dans le BTP. Il vivait avec sa mère et ses deux frères dans un HLM de Planoise, après être passé par Fontaine-Écu et aux Quatre-Cent-Huit. D’origine algérienne par un père tragiquement décédé sur un chantier, il s’était fait une notoriété locale comme auteur-compositeur-interprète de rap/hip-hop. « Il y a des flics problématiques et vertueux, même si au-delà le souci réside surtout dans un système, comme on l’a encore vu avec la mort de Nahel. Je suis désormais dans une zone gendarmerie où tout se passe très bien, mais pas plus tard que la semaine dernière à Besançon, une rencontre avec la police nationale a été empreinte de discourtoisie. Je ne garde pas de ressentiment, mais il serait temps que les choses bougent ».


Illustration d’en-tête : Karim Touil en 2013, sur le toit d’un chantier où il travaillait.

À lire aussi