Organe associatif bucolique, ou formation paramilitaire d’extrême droite ? C’est le débat opéré à propos d’une implantation dans la périphérie de Besançon, dont les contours dressés laissent planer quelques doutes sur ses orientations réelles. Car derrière l’initiation à la nature et à la cartographie, survivalisme et autres entraînements au combat et au tir, dans un esprit fermement martial et patriote, commencent en effet à susciter réserves et méfiance. Son initiateur, ancien bidasse passé par la légion, ne nie d’ailleurs pas ses sensibilités tranchées, affichées via ses réseaux sociaux et jusque dans sa chair. Il ne voit, toutefois, aucune problématique particulière à ses attaches, qu’il assure ne pas transposer en tant que telles dans son projet. La petite commune de Fontain, au cœur de ses desseins, reste, pour sa part, totalement mutique.


Un ex-caporal arborant le « soleil noir »
Notre enquête commence avec une annonce parue dimanche soir, à propos d’une « association pour faire des activités ludiques et sportives sur le thème de la nature et de la survie ». Suivant un « mélange d’esprit et d’organisation militaire et scout », les « Cadets du Raid de France » proposent ainsi d’investir un fort du secteur pour y pratiquer randonnée, escalade et entraînements au tir. En plus d’être majeur, deux critères sont posés aux participant·e·s : aimer les « activités outdoor », mais aussi avoir la fibre « patriote ». Une condition qui fait réagir, plusieurs internautes ne tardant pas à émettre des critiques dont une sur ce paradigme « paramilitaire/extrême droite » ; trouvant « dommage d’avoir cet avis-là », l’auteur explique alors qu’il est « tout à fait louable d’inverser la tendance actuelle et de regrouper les citoyens autour du même drapeau et surtout conserver la mémoire de nos anciens ».

Une fois sur la page de la structure, on retrouve quelques autres explications sur le projet : week-ends thématiques, financements escomptés, y compris via d’éventuelles subventions, volonté de porter l’uniforme et de constituer un organigramme s’inspirant de l’armée… Figure centrale de cette synergie, un certain Guenaël Schivre se distingue rapidement : il s’agit d’un ancien caporal de la « légion étrangère », figurant même dans un reportage de 2019. Sur les photographies illustrant sa nouvelle vitrine numérique, le responsable apparaît, manches courtes, autour d’un feu, révélant ses tatouages : grenade à sept flammes, étendard tricolore, mais, aussi, sur le poignet gauche, un demi « soleil noir ». Ce symbole occulte est très caractéristique, ayant été utilisé par le IIIe Reich et les néonazis. Expression artistique inconsciente, ou traduction de sympathies politiques ?

Outre des références à la « Légion étrangère » et au drapeau national français, les tatouages du fondateur révèlent également une appartenance plus marquée. Ainsi, sur son poignet gauche, on reconnaît nettement un demi « soleil noir », symbole occulte néonazi – capture d’écran page « Facebook » « Cadets du Raid de France ».


Sur les réseaux sociaux, des références parfois très explicites
En parcourant les comptes personnels du fondateur, bien des éléments se révèlent encore plus parlants sur son univers. Entre les voyages et les repas de famille, se dessine une fascination toujours forte pour la vie de soldat et l’ambiance martiale ; attrait pour la Seconde Guerre mondiale, exhibition d’armes et partage d’un clip de Mila Orriols achevant les publications. Via « Instagram », « Facebook » et « Twitter/X », les relations trahissent un panorama davantage partisan. On y aperçoit, par exemple, Jordan Bardella, Éric Zemmour, Jean-Marie le Pen, Marion Maréchal, Gilbert Collard, Jérôme Viguès, ex-officier auteur du manifeste « le dernier putsch : vaincre ou mourir », ainsi qu’une somme d’anonymes, avec la reprise du « Punisher », un portrait de Thomas Perotto ou des emblèmes tels que la « Totenkopf », la « croix celtique » ou encore la « 33e division SS Charlemagne ».

Concernant les dizaines de mentions « j’aime », les penchants sont significatifs : formations électorales (avec de multiples sections du « Rassemblement National » et de « Reconquête », ainsi que l’essentiel des leurs cadres et figures), personnalités néofascistes (Serge Ayoub, Kroc Blanc, Yvan Benedetti, Alexandre Gabriac…), groupuscules ultranationalistes (« Terre et Peuple », « Lys Noir », « Camp Nationaliste », « Europagan Brotherhood », « Cercle François Duprat »…) bandes de RAC (« Wolfsangel », « Label 732 », « Martel en tête », « Mauvais Troquet », « Reichsland Elsaß-Lothringen »…), ou encore plateformes aux titres souvent évocateurs (« Hommage au Maréchal Pétain », « Remigration », « Stop à l’immigration massive et incontrôlée », « Lutter contre l’islam », « Cercle des amis de Léon Degrelle », « Anti-Antifa », « Français de souche »…).

Casernement de la batterie Rolland, propriété de la commune de Fontain. C’est là que le projet associatif est censé s’implanter, entre fortifications et forêt – Patrifor/cc-by-sa-4.0.


« J’ai des convictions, mais il ne faut pas tout mélanger »
Longuement interrogé sur ses opinions et perspectives lors d’un échange téléphonique, Guenaël Schivre assume : « L’état d’esprit se veut résolument patriote, c’est un point essentiel. Après, cette valeur, ça signifie l’amour du drapeau et de l’histoire, rien de plus. D’ailleurs, je travaille avec des élu·e·s de gauche et de potentiel·le·s bénévoles sont marocain·e·s. Je comprends qu’on puisse s’interroger, compte-tenu des points soulevés par vos soins. Alors je veux rassurer, ça ne sera pas un camp des jeunesses hitlériennes ! J’ai des convictions, mais il ne faut pas tout mélanger. Le soleil noir est certes assez connoté, mais si vous allez dans le fond des choses il n’est sans doute pas aussi choquant que d’autres attributs. Quant aux pages citées, ça correspond surtout à la sensibilité d’un moment. C’est vrai que le net garde tout en mémoire, avec une enquête à la Mediapart on peut vite me catégoriser ».

Appelant à séparer le souverainiste du président d’association, notre interlocuteur poursuit : « Au final ce que je pense importe peu, la seule chose qui compte véritablement c’est ce qui est en train de se construire. Madame la Maire et ses équipes sont venu·e·s sur place, les visites de sécurité et de découvertes ont été réalisées. Avec tout le village, l’ambition est de refaire vivre un lieu par des animations ludiques, sportives et patrimoniales. Il serait dommage de casser cette dynamique à peine lancée, j’invite donc quiconque est intéressé·e à faire le déplacement sur nos prochaines portes ouvertes pour constater que c’est un programme viable, riche et tout à fait ouvert ». Également sollicitée afin de savoir si elle était « au courant de ces ancrages et projets », la commune de Fontain, propriétaire de la batterie Rolland, dont l’accès est interdit sauf autorisation, n’a, pour l’heure, pas répondu à nos demandes.

Boîte noire.
Après nos échanges avec Guenaël Schivre le mardi 8 juillet au matin, nous avons constaté que son compte « Facebook » personnel avait été entièrement nettoyé l’après-midi même. Publications, photographies, ami·e·s, mentions j’aime et bien d’autres informations, jusqu’alors tout à fait accessibles publiquement, ont ainsi été verrouillées ou supprimées. Anticipant une réaction de ce type, nous avions, évidemment, procédé aux captures d’écran nécessaires.

 

Illustration d’en-tête : Camp de fortune et feu en plein air, image d’illustration de la page « Facebook » de la future association des « Cadets du Raid de France ».

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