Parfois décrit dans les années 90 comme « la plus rock and roll des organisations humanitaires », « The serious Road Trip » est un projet un peu fou pensé à Londres au début des années 90, ayant pour objectif de donner des spectacles circassiens et du rire dans des coins défavorisés du monde. Né de ce projet, le chapiteau d’Avanne reçoit et réunit des publics « empêchés » autour de la pratique des arts du cirque, de la piste et de la rue. S’inscrivant dans le sillage d’un cirque à vocation sociale construit lors du siège de Sarajevo, l’équipe bénévole du cirque d’Avanne s’attache toujours, 25 ans après sa création, à former des publics à Besançon ou ailleurs dans le monde. Le Ch’ni, pour ce portrait estival, vous emmène rencontrer Nadia et Quentin, deux bénévoles historiques de l’association.
Un « délire » qui va devenir « serious » très rapidement
À la toute base, c’est un « délire de soirée » qui aboutira à la création de plusieurs « connexions » de cirques solidaires en France et en Roumanie, aime à rappeler Quentin, un des plus anciens du « Serious » d’Avanne. Ce sont deux néozélandais·e·s et un français, qui, réuni·e·s à Londres en 1991, décident de rejoindre la Nouvelle-Zélande par la route. « Iels se retrouvent dans un pub et se disent qu’iels vont rejoindre la Nouvelle·Zélande en bus à impériale Londonien. Iels parlent de l’idée autour d’elleux et la mayonnaise prend. Dans ce groupe-là, tu as des circassien·ne·s, des jongleurs et jongleuses, des échassiè·re·s et tu as aussi le milieu électro, les « Spiral Tribe », vraiment la teuf des années 90 de Londres et le monde de la nuit. Il va aussi y avoir des chauffeurs d’engins qui sont motivés, comme il y a un bus… ».
Pour mener à bien le projet, le groupe constitué va remuer Londres pour obtenir des fonds. « Ils veulent que tout le monde soit au courant du projet : les zikos font des concerts sur le toit du bus, deux trois artistes connu·e·s jouent pour leur délire, il y a des articles dans les journaux, iels font des tee-shirts, un concert est aussi organisé à Lyon ». C’est la naissance du « Serious Road Trip ». Le convoi est formé et les poches sont bien remplies. Au travers de la musique, des arts du cirque et de l’humour, le convoi projette de traverser de multiples pays pour répandre de la joie. On est trois ans après la chute du Mur de Berlin et, alors que le convoi se trouve en Russie, la guerre éclate à Sarajevo. Une partie du groupe choisit de bousculer les plans initiaux et décide de s’y rendre. Le « voyage sérieux par voie routière » prend alors une autre dimension.
Après le piège nationaliste serbe, la naissance d’un « cirque social » en France
Considéré comme le plus long siège de l’histoire moderne, la ville de Sarajevo et ses 400 000 habitant·e·s ont été pris au piège des nationalistes fascistes, un mois après la déclaration d’indépendance de la Bosnie-Herzégovine, dans un moment où la Yougoslavie, libérée des nazis à l’époque par Tito, se disloque. Entre mai 1992 et décembre 1995, 5 000 civil·e·s seront abattu·e·s à Sarajevo, plus de 8000 musulmans bosniaques seront massacrés en 6 jours à Srebrenica en 1995. La Cour Internationale de Justice reconnaitra ce massacre comme un génocide en 2007 et, en 5 ans, plus de 100 000 mort·e·s seront recensé·e·s. À leur retour, à la fin de la guerre, les équipes du « Serious Road Trip » qui, durant tout le siège, ont servi comme humanitaires et pourvoyeurs de sourire au travers d’activités circadiennes et de spectacles d’humour, sont très impactées. Un français de la bande, Christopher Huette, décide de poursuivre cette activité de « cirque social » et crée à Orléans « The Serious Road trip Connexion Humanitaire Française ».
« Il veut créer une école de cirque pour des enfants qui en ont besoin, il ne veut pas créer une école de cirque pour enfants riches. Donc assez vite, il va se rapprocher des éduc’, des adultes et enfants handicapé·e·s, du milieu social quoi », explique Quentin. En 1995, le cirque social est quelque chose qui n’existe pas ou peu : « en 2000, le ministère de la culture décide que ce sera l’année du cirque, et le début du cirque social, c’est plutôt vers 2000-2005, donc c’est assez précurseur finalement comme truc », poursuit-il. C’est cette même année que s’implante une « connexion » de ce cirque solidaire et associatif à Besançon.



Un chapiteau solidaire à Avanne depuis 2011
Le « Serious », qui trouve ses quartiers à Avanne en 2011, n’est pas de ces associations qui cherchent à faire du bruit et vanter ses actions. Elle cherche plutôt à établir des relations « saines et durables avec des personnes de confiance pour faire un travail de fond sans trop de paillettes » dit Quentin. Ainsi, une partie de la population, par méconnaissance, par a priori, clichés ou par simple stigmatisation, ne sait pas ce qu’il ce passe dans cet endroit implanté à la sortie d’Avanne, dans la direction de Rancenay. « Même si dès que l’on est arrivé, on a fait des activités à l’école d’Avanne, au bout de 14 ans, j’ai l’impression qu’il faut encore prouver... ». La fille de Quentin et Nadia a aussi dû supporter à l’école des remarques comme « tu sens le cirque » ou encore « oh tu dors sous un chapiteau ».« C’est des petites piques de gamins, mais ça veut dire que les parents en parlent. Pour elle, ça a été assez dur de s’intégrer quand même » précise Quentin. Une autre partie de la population d’Avanne connait, comprend et soutient le projet mais à Besançon, le « Serious » est surtout connu pour son festival annuel de septembre, et moins pour ses actions en direction des personnes handicapées, demandeuses d’asile et réfugiées, des enfants de Planoise, ou pour son accueil de circassien·ne·s en résidence.
Pour s’adapter aux publics et permette à chacun·e de trouver une manière de s’exprimer sous le chapiteau, des outils et instruments ont été inventés ou adaptés. L’équipe de Besançon a par exemple mis au point le fauteuil roulant sur fil, permettant aux personnes en fauteuil de rouler dans les airs. « Nous ce que l’on aime aussi, c’est le côté groupe, tu travailles en cercle, t’as des exercices où tu te présentes, où tu t’écoutes, faut que tu trouves ta place dans le cercle, et l’entraide et le partage sont importants. On avance ensemble, on a pas ce truc de « je garde mes acquis pour moi« ».
Environs 6 heures de cirque sont dispensées par semaine par le « Serious ». « On va vers un public dit « empêché ». On aime beaucoup travailler avec ce public. On ne regarde pas d’où les gens viennent. Ils ont besoin d’aide et le cirque peut les aider, donc on fait ça. Le cirque c’est tellement large qu’on peut toujours faire quelque chose. Avec tel ou tel handicap, tu peux faire telle ou telle autre chose. C’est important pour un être humain de se dire, « je peux faire des choses » » explique Nadia. À Planoise, c’est avec l’association PARI que le « Serious » travaille beaucoup et depuis longtemps, et depuis peu l’association est en lien avec la Maison de quartier. Avec son projet « Terre de Cirk », l’association propose ses ateliers aux enfants de familles demandeuses d’asile. « Aux Salins de Bregille, on fait du cirque avec des polyhandicapé·e·s. C’est assez particulier de faire du cirque avec des personnes qui ne peuvent pas se servir de leurs mains ou de leurs jambes, mais on trouve toujours des choses à faire ; c’est un projet qui dure depuis une dizaine d’années et c’est toujours un grand plaisir de faire ça avec elleux », se réjouit Nadia. Avec l’établissement de psychiatrie de Novillars, des personnes âgées ou encore différents Instituts Médico-Éducatifs (IME), l’équipe du cirque touche des public très variés.

La « connexion » bisontine du « Serious » agit aussi à l’étranger
En Irlande du Nord, au Burkina Faso, au Mali, au Liban, en Turquie, au Bénin, en Roumanie, le « Serious » arpente le globe, pour « faire rire, faire rêver, divertir, faire réfléchir… » au travers des arts du cirque. « On ne se met pas sur une carte et on ne se dit pas j’ai envie d’aller là ou là. Tous les projets que l’on fait à l’étranger, c’est des demandes de là-bas à travers des personnes que l’on connait. Une fois on n’a pas pu aller en Palestine, une amie a entendu que l’on s’est fait refouler, elle nous a dit « venez à Istanbul, il y a un quartier Rom qui va être détruit, votre place est là ». Un autre ami qui était au Kurdistan nous disait aussi de venir au regard de ce qu’il se passait sur place. Cela s’est toujours fait par des gens sur place qui voyaient la pertinence de la présence du « Serious ». L’idée est de faire perdurer le cirque sur place, on forme et on laisse un peu de matériel ». Nadia dit garder de très bons souvenirs de tous ses voyages, mais dit être aussi être particulièrement marquée par ses voyages en Palestine.
En 2005, le « Serious », grâce à plusieurs partenaires, s’est rendu en Palestine, notamment dans le camp d’Aqabat Jaber, à côté de Jéricho, jumelé avec la ville de Besançon. « La ville de Besançon nous a beaucoup aidé·e·s pour aller sur place, mais malheureusement, en 2007 et 2008, on s’est fait refouler. Moi j’avais mon passeport avec un gros « Entry denied », j’étais interdite de territoire. Mais fin 2022, la municipalité de Besançon nous contacte pour un projet de cirque à Jérusalem-est et finalement, 15 ans après, j’ai pu rentrer ». Avec le Réseau de Coopération pour la Palestine (RCDP) et la ville de Besançon, quatre circassien·ne·s et un vidéaste s’installent un mois à Silwan, un quartier de Jérusalem, dans les locaux de l’association Al-Bustan. Mi-novembre 2023, les autorités israéliennes ont détruit ce centre. Dans un communiqué, la diplomatie française a condamné cet acte en dénonçant « la politique de colonisation israélienne ».
De ce projet, est né un film. Dans celui-ci, les nombreuses personnes rencontrées s’expriment sur leur quotidien face à l’occupation israélienne, à la militarisation du territoire et à l’invisibilisation de leur situation au niveau international. « Tout le temps, les gens s’expriment sur leur situation, iels ont envie d’être entendu·e·s parce qu’iels ne sont pas entendu·e·s dans le monde. Quand il y a une personne étrangère, iels parlent beaucoup beaucoup. On est un peu le moyen de diffuser leur parole, iels en ont besoin. Le monde occidental ne sait pas bien ce qu’il se passe là-bas. Oui il y a des terroristes qui attaquent Israël, mais la réalité n’est pas que ça… Et c’est bien que les gens entendent ça, on fait ce que l’on peut mais on ne touche pas tous les publics, on touche généralement des convaincu·e·s….» conclut Nadia.


