114 avocat·e·s viennent de saisir la Cour Pénale Internationale (CPI), demandant l’ouverture d’une enquête sur la complicité de membres de l’exécutif et de parlementaires français·e·s lors du génocide palestinien. En Bourgogne/Franche-Comté, trois députés sont concernés.
C’est une affaire internationale qui retentit jusqu’au cœur de nos vertes collines comtoises, en particulier au sein de la première circonscription du Doubs, dont la représentation nationale est assurée par le député Laurent Croizier. Le 28 juillet, on apprenait ainsi, via le média Blast, que l’association Avocats pour la justice au Proche-Orient et ses 114 membres avait demandé à la Cour Pénale Internationale (CPI) l’ouverture d’une enquête. Plusieurs personnalités politiques sont visées, toutes membres de l’exécutif français ou parlementaires faisant partis de la Commission des Affaires européennes à l’Assemblée nationale. Parmi elleux, on retrouve notamment Guillaume Bigot (député RN de la deuxième circonscription du Territoire de Belfort), Julien Odoul (député RN de la troisième circonscription de l’Yonne) et Laurent Croizier (député Modem de la première circonscription du Doubs).
Deux jours après l’annonce de cette requête auprès de la CPI, le député doubien a réagi par le biais du journal l’Est Républicain, à l’occasion d’un entretien. Il avait alors déclaré « En quoi cette requête fait avancer le sujet de la justice pénale internationale sur le conflit israélo-palestinien ? Que ces avocats m’expliquent quel est le sens de cette démarche, sinon une démarche politicienne ! ». Il avait aussi répété à plusieurs reprises que la situation actuelle dans l’enclave palestinienne était « instrumentalisée par l’extrême gauche ». Une position ferme, à nouveau confirmée auprès de la rédaction du Ch’ni.
Également contactée par nos soins, l’association Avocats pour la justice au Proche-Orient a réagi via sa présidente, Dominique Cochain : « Monsieur Laurent Croizier, en bon politicien, se contente de fustiger les signataires de la communication adressée à la CPI, sans la moindre critique pertinente sur son contenu (…) Selon lui, vouloir que le droit soit respecté serait non seulement déshonorant, mais aussi impliquerait d’être nécessairement d’extrême gauche – Curieuse approche du droit et de la loi ». L’organisation se défend aussi d’avoir une approche politicienne sur cette affaire : « Ce que nous souhaitons en tant qu’avocats attachés aux valeurs d’humanité de notre serment, c’est bien que les divisions politiques et partisanes soient transcendées face à l’urgence d’intervenir pour sauver un peuple en danger (…) C’est donc profondément insultant de sa part de prétendre que des avocats instrumentaliseraient la souffrance d’un peuple pour des intérêts électoralistes ».
L’impartialité contre la défense des principes
Au cours de l’interview accordée au média régional bisontin, Laurent Croizier indiquait également son ressenti face aux accusations à son encontre : « Ça me donne la nausée. Ça me met en colère. Je refuse de sacrifier la complexité morale et humaine de ce conflit, la nuance, sur l’autel d’une récupération idéologique obscène ». Un positionnement d’impartialité qui est difficilement tenable, selon Dominique Cochain : « Nous avons choisi le camp du droit dans le pays des Droits de l’Homme, il a choisi le camp d’une pseudo-neutralité qui se traduit par un soutien à des dirigeants étrangers contre lesquels ont été émis des mandats d’arrêt internationaux que le gouvernement français n’entend pas exécuter, ce qui caractérise, là encore, un soutien aux génocidaires ».
Le 24 juillet, le président de la République Emmanuel Macron prenait la décision d’appeler à la reconnaissance de l’État de Palestine, affirmant son attachement à la solution à deux états. Une décision bien tardive au vu de la situation dans l’enclave palestinienne après 21 mois de siège par l’armée israélienne, des villes détruites, plus de 60 000 victimes côté palestinien après les attaques d’octobre 2023 par le Hamas ayant fait plus de 1 200 morts côté israélien.


« Rappeler les obligations qui pèsent sur l’exécutif et sur nos élu·e·s »
Dans sa requête pour demander l’ouverture d’une enquête à la CPI, les 114 avocats soulignent, éléments à l’appui, que ni l’exécutif français, ni le gouvernement, ni les députés et sénateurs ne pouvaient ignorer la situation et les velléités génocidaires de l’actuel gouvernement israélien : « Les requérants considèrent que le Président du Sénat et la Présidente de l’Assemblée nationale, ainsi que des députés et sénateurs français, ont joué un rôle de soutien diplomatique, politique et moral à l’État d’Israël alors qu’ils ne pouvaient pas ignorer ni l’intention des dirigeants israéliens, ni la nature des crimes commis dans le Territoire palestinien (Bande de Gaza et Cisjordanie Occupée) ». Une absence de décisions et une inaction qui ont conduit l’association d’avocats à engager cette démarche : « Le sens de la démarche que nous avons initiée est de rappeler les obligations qui pèsent sur l’exécutif et sur nos élus, ainsi que de rappeler que le non-respect de ces obligations n’est pas dépourvu de sanctions », rappelle encore Dominique Cochain.
Mercredi 2 juillet dernier, deux résolutions avaient été discutées en commission des affaires européennes. Leurs objectifs : suspendre l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël signé en 1995 afin de faciliter les échanges commerciaux. L’une des deux résolutions avait été déposée par la députée La France Insoumise (LFI) et vice-présidente de l’Assemblée nationale, Clémence Guetté. L’objectif était d’aboutir à des sanctions économiques à l’encontre de l’État d’Israël, pour faire ainsi pression sur les autorités. Mais aussi préparer une décision commune européenne face à la situation humanitaire à Gaza, en vue de la journée du 15 juillet 2025 au Conseil européen des Affaires étrangères. La décision de la France était donc attendue. Mais, le 2 juillet, le contre l’a finalement emporté, avec la voix de Laurent Croizier.
Dans une note sur son blog, Séverine Véziès, référente LFI à Besançon, souligne ainsi que cette décision n’a rien d’étonnant : « On sait qu’il s’est, par exemple, positionné en tête de l’opposition au hissage du drapeau palestinien à Besançon, appelant le préfet du Doubs à engager un recours au tribunal administratif à l’encontre de la ville. Dans un message dégoulinant d’hypocrisie, il se réfugiait alors derrière le droit (ces gens ont donc l’application du droit à géométrie variable) pour empêcher ce geste symbolique de solidarité des bisontin·e·s envers le peuple palestinien ».
Pour l’heure, la situation humanitaire à Gaza est tragique et les portes de Rafah restent inlassablement fermées alors que la population fait face à la famine. La pression internationale et une large reconnaissance de l’État de Palestine de la part de la communauté internationale suffiront-elles à venir en aide à la population gazaouie ? Le temps diplomatique long et laborieux peut-il encore répondre à l’urgence de la situation, ou bien le temps de l’action politique est-il enfin venu ?
Illustration d’en-tête : El-Remal dans la ville de Gaza, après un bombardement israélien le