Pour le franco-chilien Francisco Daniels Rojas, l’éducation au cœur de tout engagement politique
Rien ne dure, tout passe…. Pour Francisco Daniels Rojas, il est maintenant temps d’évoquer le cœur de son engagement militant, assis-là dans le café bisontin, 52 ans – jour pour jour- après cette expérience douloureuse et déterminante du coup d’état de Pinochet en 1973. Mais, même ici et maintenant, il est difficile pour lui de ne pas revenir en arrière sur sa propre vie avec les émotions que cela génère…
Dans la vielle ville de Besançon, retour, donc, en 1973 au Chili avec Francisco pour évoquer un autre évènement fondateur, une promesse faite à ceux qui l’avait emprisonné et privé de sa liberté, mais surtout un engagement pris envers lui-même.
En décembre, cette année-là, après avoir été déplacé à plusieurs endroits et vécu la prison et l’angoisse pendant quelques semaines, il est temps pour le jeune Francisco Daniels Rojas d’être jugé par un Conseil de guerre… « Il n’y avait pas de raison particulière à ce procès. J’ai été jugé parce que j’étais socialiste, parce nous représentions quelque chose pour la jeunesse », commente-il.
Il raconte ensuite les détails de ce procès, au terme duquel il est condamné à une décennie de prison. « Le général qui présidait le conseil de guerre m’a finalement donné la parole. Il m’a accordé trois minutes », commence à raconter le militant franco-chilien.
À l’époque, encore lycéen, il répond sans hésiter : « J’ai expliqué qu’il m’obligeait à dire que la Terre était carrée alors qu’elle est ronde. Je lui ai dit qu’à l’avenir je ferais tout ce qu’on allait m’interdire, comme aller à l’université. Donc, ce que j’ai fait ces cinquante dernières années depuis, c’est d’essayer de tenir ma parole lors de ce Conseil de guerre ».
Et pour sceller cette promesse faite de larmes, de sang et de vies humaines, Francisco décide de consacrer son existence à ce qui constitue le cœur de son engagement : « J’ai dédié ma vie à créer des échanges entre la France et le Chili. Nous avons amené des centaines d’étudiants à venir étudier en France, et surtout à Besançon, en Franche-Comté », précise-il. Aujourd’hui il est le président d’une association bisontine qui vient en aide aux étudiants étrangers venus du monde entier, Pablo Neruda siglo XXI née en janvier 2004, il y a plus de 20 ans.

« J’ai toujours été un amoureux des profs »
Comme tout parcours né d’une véritable lutte où la survie et la politique s’entremêlent, Francisco Daniels Rojas a les pieds bien ancrés sur terre. Il revient, au cours de l’entretien accordé au Ch’ni, sur les origines profondes de son engagement politique, avant 1973, avant le coup d’État de Pinochet.
Pour lui, sa famille qui a aussi joué un rôle déterminant, en particulier sa mère : « Elle était fondatrice de la démocratie chrétienne chilienne au nord du pays. Je viens d’elle. J’ai été très engagé tout jeune ». Un activisme familial qui s’inscrit aussi dans une contexte particulier, marquée par la guerre du Vietnam. « Je pense que mon engagement vient aussi de cette guerre. Il est également né du processus de la révolution cubaine ».
Plus encore que le reste, ce qui a marqué le militant d’une manière indélébile, ce sont ses anciens professeurs au Chili. « C’est un tout. Il y a eu beaucoup de grèves de la faim à l’époque, à cause de la guerre du Vietnam. Il y avait aussi des cantines populaires et des enseignants qui se mettaient en grève ». Non sans un certain amusement admiratif, il raconte ce que représentaient ses professeurs, leur engagement pour l’éducation, à ses yeux : « Quand ils arrivaient au lycée, on avait l’impression que c’était Armani qui débarquait. Ils avaient la classe, avec leurs voitures de profs et tout ça. Parfois, ils n’avaient pas de quoi manger. Les profs étaient adorés au Chili, en particulier les professeurs normaliens ».
Une image des enseignants chiliens qui le marquera à vie et qui place l’éducation et l’instruction au cœur de sa volonté d’améliorer la société : « J’ai toujours été un amoureux des profs. Quand je voyais mes profs, ils étaient très pauvres au final, ils ne gagnaient pas beaucoup d’argent », ajoute-il.
Ce qui a frappé Francisco chez ses enseignants, c’est leur formation civique et républicaine. Selon lui, cet enseignement, aussi transmis par les professeurs chiliens à l’époque à leurs élèves, a contribué à une victoire de la démocratie dans le pays sous l’ère Allende. « Le formation civique était rigoureuse, avec des débats en classe autours de notions comme la liberté et l’égalité qui ont été très importants. La démocratie a peu à peu gagné au Chili grâce au mouvement ouvrier mais surtout, grâce aux enseignants ». Des enseignants chiliens qui seront nombreux à disparaître après le coup d’État, probablement enlevés et tués.
C’est en pensant à ses professeurs d’autrefois que Francisco entame, plus tard, lui-même une grève de la faim de plusieurs jours pour dénoncer la disparition de milliers de personnes au Chili sous la dictature de Pinochet. L’expérience ne sera pas sans conséquence et lui laissera une cicatrice impressionnante sur l’abdomen. « Une cicatrice de guerre », ironise-t-il.
Le militant a aussi construit une grande partie de sa vie en France, sa terre d’exil – une réalité qu’il assume pleinement. Francisco conserve, aujourd’hui encore, un profond attachement à ce pays d’adoption qui l’a accueilli. « Je dois tout à la France », lâche-t-il. Car c’est en France aussi qu’il a pu poursuivre des luttes politiques et sociales, pour le Chili mais aussi pour la société française elle-même, avec une existence dédiée au militantisme de terrain, notamment à Besançon.

Pour autant, malgré le poids du passé – douloureux ou lumineux – cet homme de 71 ans ne veut pas céder aux sirènes de la nostalgie. Peut-être sait-il trop bien dans quels travers cela peut parfois mener…
Illustration d’en-tête : Photo de Francisco le jour de son expulsion du Chili vers la France, en 1975, à l’aéroport de Santiago. Archives personnelles de Francisco Daniels Rojas.
