Derrière la grande Brigitte Bardot, l’amnésie collective

L’annonce de son décès a provoqué une onde de choc ce dimanche, entraînant une vague immédiate et massive d’hommages politico-médiatiques. Actrice majeure des années 1950 à 1970 et militante acharnée pour les droits des animaux, Brigitte Bardot fut aussi le relais d’idéologies particulièrement nauséabondes. Entre ses forts ancrages à l’extrême droite, ses cinq condamnations pour des propos racistes/islamophobes, ou ses relativisations de l’affaire Harvey Weinstein, quelques réserves franches pouvaient probablement s’exprimer en restituant une synthèse de sa biographie. Mais dans nombre de rédactions, y compris locales, on préférera largement passer sous silence ces travers peu glorieux afin de ne pas briser la communion.

En cas de deuil national, l’information doit-elle être sacrifiée pour frôler l’hagiographie ? C’est la question délicate qui se pose après la disparition de Brigitte Bardot, décédée ce matin à 91 ans. En tout cas, chez la presse généraliste, c’est la mansuétude qui domine d’instinct, bercée par une amnésie collective presque unanime quant au parcours de « BB ». À « l’Est Républicain » filiale du groupe « Crédit Mutuel » l’édition locale ne lésine donc pas sur le filon : annonce de sa mort à 10h42, lettre ouverte pour les chamois de la région à 11h48, opposition à un abattoir rituel sur Belfort à 11h50, souvenirs épistoliers du Haut-Doubs à 13h14, réactions publiques à 13h55

Dans cette pluie de louanges, une certaine Léa Bucci aura quand même aura quand même consacré deux petites lignes à « la femme plus âgée qui faisait polémique » (sic) en revenant sobrement sur ses « prises de position souvent tranchées en politique » (sic) auprès de Marine le Pen et du « Rassemblement National ». Avant cette remarquable conclusion, encensant la vie d’une « recluse à Saint-Tropez, entre deux fracassantes déclarations publiques qui lui vaudront d’être sanctionnée par la justice. Elle qui regrette la perte d’authenticité de l’ancien village de pêcheurs de la côte varoise devenu le repaire de la jet-set, est toujours restée indomptable » (sic).

Derrière cette formulation digne de la « Pravda », une somme de dérapages. Dans un ouvrage publié en 2003, Bardot écrivait par exemple sur le métissage : « Alors que chez les animaux, la race atteint des sommets de vigilance extrême, les bâtards étant considérés comme des résidus, bons à laisser pourrir dans les fourrières, ou à crever sans compassion d’aucune sorte, nous voilà réduits à tirer une fierté politiquement correcte à nous mélanger, à brasser nos gènes, à faire allégeance de nos souches afin de laisser croiser à jamais nos descendances par des prédominances laïques ou religieuses fanatiquement issues de nos antagonismes les plus viscéraux » (sic).

Une pensée limpide, qui s’accompagne de cinq condamnations pour « incitation à la haine raciale » entre 1997 et 2021. Sympathies envers Vladimir Poutine, soutien à la répression policière contre « la racaille envahissante » (sic), dénonciation des agressions sexuelles commentée « d’hypocrite, ridicule, sans intérêt » (sic) suite à « me too », réunionnais·e·s taxé·e·s de « population de dégénérés » (sic), appel à voter Éric Zemmour aux présidentielles de 2022, ajoutant encore au panorama. Exposer de manière complète et équilibrée, c’est normalement là le travail d’un·e journaliste ; ne pas omettre le meilleur donc, mais sans cacher ou romantiser le plus sombre.


Illustration d’en-tête : Brigitte Bardot dans le film « Vie privée », en 1962 – Mondadori.


Mise à jour du dimanche 28 décembre à 17h15.
Alors que nous publiions la présente, un texte de Aurélien Poivret pour la version web globale de « l’est Républicain » était (enfin) dédié aux différents déboires judiciaires de Brigitte Bardot. Mais, loin de reprendre la réalité de ses travers, le développement choisi va au contraire à nouveau semer le trouble quant à la nature exacte de ces discours litigieux. Le rédacteur préférant résumer ces derniers en une charge certes blâmable mais corrélée au combat antispéciste, alors que nombre d’assertions n’ont aucun rapport avec une critique même virulente de l’abattage rituel. Outre l’illustration déjà ici livrée quant au « métissage » en 2003, les diatribes analogues relatives aux immigré·e·s, à la construction de mosquées, à la déchristianisation, à la visibilité des personnes LGBT+, ou encore à la place des femmes, se comptent par dizaines. Aussi, ainsi que le rappelle l’historien Fabrice Riceputti, ses connivences avec l’extrême droite la plus radicale s’avèrent très anciennes, posant avec les partisans de l’Algérie française Jean-Marie le Pen et Pierre Lagaillarde dès 1958.