Il y a une quinzaine de jours, « le Ch’ni » révélait quelles étaient les ambitions d’un vétéran de la légion étrangère. Dans les environs de Besançon, de vieilles fortifications devaient ainsi être transformées en camp « survivaliste » et « patriote » où régnerait discipline martiale et révérence au drapeau. Une ligne amenant d’autres réflexions, la vision d’éléments annexes pouvant laisser suggérer une finalité paramilitaire et d’extrême droite. L’information reprise par divers médias locaux, la petite mairie de Fontain a dû sortir de sa torpeur pour étaler un malaise réservé mais palpable. Si son concours doit encore être officiellement débattu courant septembre, la riposte du principal protagoniste ne s’est pas faite attendre. Voyant ses desseins en péril, réfutations et recours aux poursuites judiciaires se sont enchaînés. À cette offensive, nos réponses.
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« La vérité est le soleil des intelligences »
Lors de notre enquête parue le 11 juillet dernier, l’identification d’un tatouage singulier figurant sur le poignet gauche du responsable de l’association-cadre, Guenaël Schivre avait été au cœur de l’argumentaire développé. Nous considérions avoir affaire à un demi « soleil noir », symbole caractéristique rare en-dehors de sphères marginales. Une reconnaissance qui fut d’ailleurs pleinement validée par l’intéressé lui-même, lors de nos longs échanges téléphoniques le 8 juillet, ou dix jours plus tard auprès de « France 3 Franche-Comté ». Mais, le 26 juillet dans « l’Est Républicain », un revirement s’est opéré : il ne s’agirait que d’un simple « zierscheibe » en référence à ses origines « germanoceltiques », décrivant un « élément de décoration très connu dans l’histoire païenne, issu des Alamans, des Francs et des Lombards, datant du Ve siècle, qui a ensuite été repris par le parti national-socialiste allemand ».
Selon l’ancien uniforme, ce dossier ne se résumerait donc qu’à un regrettable amalgame, l’ornement litigieux n’ayant eu aucune connotation politique, du moins dans ses intentions initiales. Mais cette volte-face était en fait assez attendue, s’inscrivant dans une rhétorique-type déjà dénoncée le 26 janvier 2013 par le portail antifasciste « la Horde ». Car, pour les spécialistes interrogés, la potentielle confusion évoquée n’est guère crédible. « Il n’y aucun doute, pour moi le motif présenté est clairement un soleil noir. Il est distinctif, par exemple avec les runes qui traversent le cercle comme dans le tatouage. Ce qui n’a rien à voir avec un zierscheibe, dont les rayons sont déconnectés les uns des autres. Sa version ne tient pas dix secondes, même pour un néophyte » avait notamment analysé Ricardo Parreira, fondateur et animateur de la plateforme « Indextrême » dédiée aux iconographies d’extrême droite.
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Une référence occulte, créée par un dignitaire nazi
Derrière l’emblème obscur se cache une marque intrinsèquement liée au IIIe Reich, ainsi que le retrace encore le journaliste. « Le soleil noir (Schwarze Sonne) a été conçu entre 1938 et 1943 à Wewelsburg (Allemagne), sur ordre direct de Heinrich Himmler. Il était destiné à être utilisé dans des rituels ésotériques organisés par certains membres de la SS dans le cadre de leur culte à la race aryenne. Le design du symbole, attribué à Karl Maria Wiligut, repose sur une disposition circulaire de douze runes Sōwilō, délimitées par des cercles intérieur et extérieur, disposés selon des intervalles géométriques précis qui permettent son identification immédiate, tant dans les contextes liés aux mouvements de l’extrême droite radicale que dans ceux du terrorisme, comme en témoigne son usage par de nombreux néonazis, notamment Brenton Tarrant, qui l’arborait lors des attentats de 2019 à Christchurch (Nouvelle-Zélande) ».
« Le Soleil Noir est réutilisé dès les années 1950 par d’anciens dignitaires comme Wilhelm Landig, ainsi que par des groupes ésotéristes tels que les odinistes, les wotanistes et les courants néo-paganistes rattachés à la Nouvelle Droite Allemande. L’ensemble des historien·ne·s spécialisé·e·s dans l’ésotérique nazi, à l’instar de Nicholas Goodrick-Clarke, Michael Hüser et Juliane Kerzel, ou, dans le champ francophone, Stéphane François, s’accordent à reconnaître une origine unique et datée de ce symbole durant cette seule période. Il n’existe aucun lien avéré entre le soleil noir et les zierscheiben (disques décoratifs), y compris celui découvert en 1976 à Steinhöring (Allemagne), qui comporte douze rayons autour d’une svastika centrale. Encore moins peut-on établir une quelconque filiation avec un symbole Viking, dont aucune source historique fiable ne vient attester l’existence » poursuit-il, s’appuyant sur une forte bibliographie.

Dessins préparatoires et premiers clichés exhumés
L’expertise s’avère catégorique, d’autant plus qu’elle s’ajoute aux retours du salon de tatouage qui a réalisé l’œuvre demandée par le trentenaire. Sur le compte « Facebook » de l’entreprise, on retrouvait, publiés le 11 novembre 2023, les dessins préparatoires et premiers clichés, permettant de situer précisément la réalisation et d’offrir une netteté indiscutable, avant leur suppression précipitée. Contactée, l’artiste, officiant dans un salon de la région, déplore un épisode dont elle dit qu’il l’a « très affectée » : « Quand j’ai découvert la problématique, j’ai immédiatement supprimé ces photos pour éviter que l’affaire ne porte préjudice à mon studio. Le client m’avait apporté cet élément, dont je n’ai pas reconnu le sens, pour compléter son tatouage. J’avoue ne pas avoir pris le temps de faire une recherche approfondie sur ce symbole. C’est une erreur de ma part, je serai beaucoup plus vigilante à l’avenir ».
Recherchant en parallèle quelles apparitions concrètes de cet attribut pouvaient être attestées en Franche-Comté sur les dernières années, il ne nous a pas été difficile de trouver une flopée d’illustrations flagrantes au sein des tendances les plus nationalistes… En revanche, à l’exception de cette seule catégorie politique, nulle autre manifestation, y compris décorative ou mémorielle. Ricardo Pareirra achève, limpide : « Aujourd’hui, il n’existe pas d’ambiguïté quant à l’usage de ce symbole dans les milieux radicaux. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que des membres des forces de l’ordre ou des militaires fréquentant des réseaux d’extrême droite sont épinglés pour leur affinité avec la symbolique nazie. Confrontés à ces faits, ils cherchent généralement à se justifier par des explications fallacieuses, invoquant une fascination pour les Vikings ou pour les anciennes cultures nordiques, sans fondement historique sérieux ».

Gabriac et Ayoub, des passeurs insoupçonnés
La prétendue inconscience de Guenaël Schivre sur la nature et la portée réelles de ce symbole en 2023 apparaît donc très discutable, d’autant plus que dans les dizaines de pages ultranationalistes auxquelles il s’est abonné sur « Facebook », plusieurs l’utilisent abondamment… Comme « Reconquête nationale », promouvant la sortie d’un livre dont le récit est décrit comme s’inspirant ouvertement des « Carnets de Turner ». Une photographie y est ainsi publiée le 26 juin 2018 à l’occasion d’une cérémonie païenne dédiée au « solstice d’été », avec un « Reichskriegsflagge » où la « croix de fer » et la « svastika » sont respectivement remplacées par un « soleil noir » et une rune « Ōthalan » figurant l’insigne de la « 7e division SS Prinz Eugen ». Mais, pas à une contradiction près, la tête des « Cadets du Raid de France » s’est aussi expliquée à « l’Est Républicain » quant au suivi de ces comptes litigieux.
Il cite ainsi les militants néofascistes Alexandre Gabriac et Serge Ayoub, assumant que « ce sont les seuls qui sortent des anecdotes et activités sourcées pour comprendre ce qu’il s’est passé pendant la Seconde Guerre mondiale ». Ce duo n’a pourtant rien d’historiens, d’enseignants ou de pédagogues, n’ayant jamais produit quoi que ce soit d’intellectuel ou littéraire sur le sujet. Le premier, ex-membre du « RN », s’est fait connaître par ses saluts nazis, avant de fonder les éphémères « Jeunesses Nationalistes », avec une section à Besançon ; le second, surnommé « Batskin » pour ses tendances à éclater le crâne d’opposant·e·s à coups de batte, était à la tête des « JNR » et de « Troisième Voie », mêlées à de multiples crimes dont le meurtre de Clément Méric en 2013, en ayant un certain Sébastien Favier comme lieutenant comtois, un temps mis en cause pour le saccage de l’arc de triomphe en 2018.

Une quarantaine de soutiens parfois très orientés
Énième indice d’une immersion qui touche d’abord les plus réactionnaires, Guenaël Schivre affirme avoir été contacté par une quarantaine de personnes motivées par ses perspectives. Quelques internautes ont en effet relaté leur enthousiasme malgré (ou grâce à) la controverse, en particulier sur les réseaux sociaux. Mais pour la plupart, ces profils ne peuvent que laisser songeur/songeuse quant à leurs inspirations. On retrouve, entre autres, Fabrice Galpin, coordinateur départemental de « Reconquête » ; Fabrice G., lepéniste assénant que « la cabale journalistique risque de tuer ce projet dans l’œuf » ; Yann A., ayant pour bannière « dimanche je vote Marine » qui écrit vouloir « adhérer à l’association » ; ou encore Florian A., déclarant, en partageant l’article de « France 3 Franche-Comté », « la batterie Roland (sic) pour une nouvelle vie, et pourquoi pas ! Ça ne va pas plaire aux gauchos et leurs sous-fifres ! ».
Confronté à ce nouveau faisceau, le président de l’organisation a préféré ne pas réagir. « Je ne vous répondrai qu’avec la présence ou l’intermédiaire de mon avocat », résumera-t-il le 28 juillet. La veille, il tenait à nous communiquer avoir « déposé plainte ce jour à la gendarmerie d’École-Valentin pour diffamation publique et incitation à la haine ». Une annonce qui suivait un courrier électronique, nous donnant jusqu’au 25 juillet 2025 pour « supprimer notre enquête », faute de quoi les procédures adéquates seraient engagées ; ultimatum auquel nous avons immédiatement répondu, en signifiant une fin de non-recevoir. En attendant cet hypothétique procès qui nous est promis, le désaveu public de nos investigations méritait les présents détails et compléments. Quant à l’avenir du programme initié cet été à Fontain, les élu·e·s doivent en discuter au prochain conseil municipal, prévu dans un peu plus d’un mois.
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Illustration d’en-tête : Outre des références à la « Légion étrangère » et au drapeau national français, les tatouages du fondateur de l’association « Cadets du Raid de France » révèlent également une appartenance plus marquée. Ainsi, sur son poignet gauche, on reconnaît nettement un demi « soleil noir », symbole occulte néonazi – capture d’écran.