Sous la pression de l’extrême droite, un « forum décolonial et antifasciste » annulé dans le Jura

Un concert dans la soirée de lundi et des conférences sur la journée du mardi, c’était, avec une « marche pour la paix », le programme prévu à Arbois en solidarité avec la cause palestinienne. Un évènement qui n’avait rien d’inédit, bien d’autres dates ayant été organisées sans encombres dans la région, comme le 6 septembre dernier à Lons-le-Saunier. Mais entre la récolte de fonds destinée à l’association « Urgence Palestine », en procédure de dissolution, ainsi que la programmation qui tenait en partie sur le 11 novembre, dédié aux commémorations de l’armistice de 1918, il n’en fallait pas plus pour que des membres du « Rassemblement National », parti critique des opposant·e·s au régime israélien, n’exigent une censure totale.

Tout est parti d’une tribune de « Marianne », un ex-militaire originaire de la commune taclant la perspective de cette manifestation vue comme un affront ce jour-là. La fachosphère s’empare rapidement de l’affaire, avec son flot de menaces. « Au-delà des réseaux sociaux, on nous a aussi remonté des éléments précis sur une éventuelle descente de militant·e·s nationalistes » explique un membre du « Groupe d’Action Union Populaire ». L’offensive se poursuit dans les arcanes feutrées de la politique, les pressions de baron·ne·s lepénistes se multipliant à l’égard des pouvoirs publics. Avant même que la préfecture ne se prononce, les premiers rendez-vous à Mesnay sont censurés sous l’égide d’un arrêté du maire « divers droite » Pascal Drogrey.

« Le risque de troubles à l’ordre public, il n’existait pas avant que des appels à la haine soient lancés contre nous et ce projet. Pas mal de précédents le démontrent, à chaque fois tout s’est bien passé. En ruralité aussi, des valeurs fortes peuvent être portées ! Nous étions donc prêt·e·s à ne rien lâcher, assumant parfaitement nos choix, revendications, invité·e·s. Mais aussi par principe, afin de ne pas laisser le totalitarisme l’emporter. Or, la gravité des pressions et la délicatesse d’engager un recours dans ces délais rendaient cette position intenable, en particulier pour nos partenaires comme Amnesty International. La veille, tout a été finalement révoqué. C’est une déception bien sûr, pour l’idée de solidarité internationale et de liberté d’expression » regrette notre interlocuteur.


Illustration d’en-tête : Aperçu d’une manifestation pour la Palestine, le 28 octobre 2023 à Besançon.


Mise à jour du mercredi 12 novembre à 20h30. À la suite de notre article, le collectif à l’origine de l’organisation de cet évènement tient à nous apporter des précisions que nous reproduisons en intégralité :

« Nous sommes un collectif anticolonial jurassien qui co-organise avec Amnesty International 448 Arbois deux journées de solidarités avec le peuple palestinien les 10 & 11 Novembre à Mesnay et Arbois (39). (source)​ Des pressions diverses s’exercent quant à la tenue de cet événement, notamment en ce qui concerne la journée du 11 Novembre.​

Suite à l’annonce de l’événement, un article a été publié sur le site internet du journal “Marianne” le 07 Novembre et relayé sur leurs réseaux sociaux (source). L’auteur, militaire et sociologue (source), s’indigne et voit ces journées de solidarité comme “une faute morale et républicaine”. Il précise ; considérant que “ce jour n’appartient pas aux causes contemporaines” ; que “ le 11 novembre, on se tait ”. ​

Sur la page Facebook de l’article (source), l’évènement est violemment critiqué. On y appelle à l’arrestation des participants, à l’interdiction de l’évènement, on y dénonce “l’arabisation”, la “mise en place de la charia” et autres horreurs. C’est vraisemblablement suite à la publication de ce billet que le député RN Julien Odoul a contacté le préfet du Jura le 08 Novembre dans le but de faire interdire l’événement (source). Celui-ci déplore que les fonds soient reversés à Urgence Palestine sous le coup d’une menace de dissolution.​

Le 09 Novembre, Les RG ont prévenu les organisateurices qu’ils enverront des effectifs pour perturber la tenue de ces journées de solidarité.​ Les RG ont également prévenu les militant.e.s d’un fort risque d’attaque de la part de groupes d’extrême droite.

Le dimanche 09 Novembre en fin de matinée, nous apprenons que le maire de Mesnay, commune où devaient se dérouler les concerts de soutien du lendemain, a mis en place un arrêté d’interdiction du rassemblement sous le motif classique et fallacieux de “ risques de troubles à l’ordre public ». Le tout à peine 24h avant la tenue de la soirée, les pouvoirs publics ayant visiblement choisi de se coucher face aux pressions de l’extrême droite en empêchant la tenue d’un rassemblement pour la paix et en soutien à la cause palestinienne.

Malgré l’interdiction de la soirée du 10 Novembre, les pressions politiques et les menaces de l’extrême droite, nous restions déterminé.e.s à porter haut et fort toutes les voix qui dans nos territoires cherchent à s’élever contre le génocide en cours à Gaza et son soutien par l’état français.

Mais le lundi 10 Novembre au matin, les responsables locaux d’Amnesty International et la France Insoumise ont pris la décision unilatérale d’annuler le forum prévu le lendemain à la salle Pasteur d’Arbois, ainsi que le défilé prévu à 17h15, et ce sans consulter aucun des membres du collectif organisateur, ni de nos camarades d’Urgence Palestine et de Tsedek impliqués à nos côtés dans l’organisation de cet événement et dans le soutien aux mobilisation locales pour le peuple palestinien.

Nous déplorons la décisions de ces individus qui, usant de l’argument d’autorité de deleurs organisations, ont décidé de court circuiter la communication et l’organisation collective locale construite depuis des mois pour se plier aux injonctions de l’extrême droite dont le discours n’est qu’un énième relais des éléments de langage de la propagande de guerre israélienne visant a discréditer les soutiens du peuple palestinien. ​

Il n’est pas simple de s’organiser dans la ruralité et d’exprimer de la solidarité avec le peuple palestinien, de rappeler l’importance du droit international, de dénoncer les génocides et les guerres impérialistes et coloniales. Nous sommes peu nombreux et nombreuses, dans des territoires où se déplacer coûte cher. Il est difficile de résister à la pression quand des responsables nationaux de l’extrême droite se mêlent de nos petites vies, quand des grands titres de presse appartenant à des ultra-riches offrent des tribunes infamantes, que la police avertit que des groupuscules fascistes vont nous agresser.

Mais choisir d’annuler l’événement dans ces circonstances est à nos yeux une faute politique majeure dont nous exprimons avec force notre désaccord profond. S’incliner face à l’extrême droite, pas en notre nom ! Manifester pour un cessez-le-feu le jour de l’armistice nous semble encore aujourd’hui tout à fait légitime et pertinent. Celleux qui ignorent l’histoire sont condamné.e.s à la revivre ».