Chez « Lutte Ouvrière », un discours communiste révolutionnaire
À l’occasion de la traditionnelle fête de « Lutte Ouvrière » qui se tenait le 11 octobre dernier à Besançon, un débat était organisé avec les quelque deux cents militant·e·s et sympathisant·e·s de l’organisation trotskyste. En guise d’introduction, Nicole Friess a ainsi adressé un message d’ouverture à l’ensemble de ses camarades. De quoi poser les bases, mais aussi ouvrir le champs des discussions. Pour cette chronique du Lobby, nous reproduisons l’intégralité de ce texte.
« Je voudrais insister sur l’importance de la situation économique et internationale, qui sont complètement entremêlées. Comme nous le voyons tous, la société capitaliste s’enfonce tous les jours un peu plus dans la crise.
Sur l’année écoulée, 200 000 travailleurs ont perdu leur emploi, dans l’industrie automobile, mais aussi dans l’industrie de l’habillement, dans l’agro-alimentaire et bien d’autres encore. Récemment, l’immense et richissime trust automobile Stellantis a annoncé du chômage partiel dans les usines de Mulhouse et de Sochaux, après avoir annoncé la fermeture pendant trois semaines de son usine de Poissy, en région parisienne.
Et dans tous les pays, c’est la même chose. Les plans de licenciements se succèdent. En Allemagne, le groupe Bosch annonce 13 000 suppressions d’emplois. Alors oui, la crise économique dure depuis cinquante ans, et elle ne fait que s’aggraver. Il n’y a pas besoin d’être révolutionnaire pour le dire, même les économistes bourgeois le reconnaissent.
La raison fondamentale de la crise économique capitaliste, c’est la contradiction entre un marché solvable qui ne va pas ou très peu se développer par rapport aux capacités de production. Au bout d’un moment, ça coince. Et quand ça coince, il faut investir l’argent quelque part, et dans ce système gangrené par la finance, eh bien l’argent va à la spéculation, qui est à la base des crises financières que nous avons connues.
L’approfondissement de cette crise accentue les tensions entre les différents groupes capitalistes, et aussi entre les états, ce qui fait que les tensions internationales ne cessent de croître. Il y a bien sûr le Moyen-Orient avec le génocide à Gaza, la Cisjordanie, la politique impérialiste que les États-Unis mènent dans la région avec l’état d’Israël comme bras armé.
L’impérialisme américain, qui est la plus grande puissance du monde, fait son marché, comme en Ukraine, où cette guerre qui nous a été présentée comme un combat entre la dictature et la démocratie n’a été en réalité qu’une occasion de récupérer les terres rares d’Ukraine. Non, la guerre en Ukraine n’est pas une guerre pour la liberté du peuple ukrainien, mais bien pour s’accaparer une partie des richesses de ce pays. Et la France n’est pas en reste, qui voudrait, elle aussi, avoir sa part du gâteau.
Le capitalisme n’a pas d’issue. C’est la guerre économique en permanence, et quand ce n’est pas la guerre commerciale entre états, c’est la guerre tout court, et toujours pour une poignée de parasites. Et nous les travailleurs, tant que nous ne prendrons pas les rênes de la société en main, nous en serons les éternelles victimes. En Europe, en Ukraine, en Russie, au Moyen-Orient, aux États-Unis et comme dans le reste du monde, ce sont toujours les peuples, les classes populaires, qui paient.
Oui, les grands états impérialistes se préparent à la guerre, et nous préparent à la faire. Partout, ils augmentent les budgets militaires. En France, le budget annuel de l’armée est proche de 57 milliards ; il a augmenté de 50 % depuis 2017 et il devrait doubler d’ici 2035 pour atteindre l’objectif imposé par Trump à tous les pays de l’OTAN. 57 milliards d’euros pour la France, 80 pour l’Allemagne, 300 pour la Chine ! Et, champion toutes catégories, près de 1 000 milliards pour les États-Unis.
Je ne sais pas si vous avez lu ce qu’a révélé le Canard Enchaîné. Tout récemment, le ministère de la santé a donné comme directive aux agences régionales de santé d’imposer aux hôpitaux de tout le pays de se mettre en ordre de marche pour accueillir entre 100 et 500 000 blessés de guerre à partir de 2026. Oui, la marche à la guerre est là. Et par l’intermédiaire des médias qui sont à la botte du gouvernement, l’idée de serrer les rangs derrière le drapeau tricolore est diffusée à longueur de journée, dans les écoles avec le SNU [Service National Universel], le salut au drapeau, la Marseillaise, le possible retour au service militaire obligatoire, les campagnes anti-immigrés, la menace imminente de la Russie qui, paraît-il, serait bientôt aux portes de la capitale, et sans oublier, bien sûr, la Chine qui menace l’industrie française.
Tous ces relents nauséabonds sont d’ailleurs repris par les partis de gauche comme de droite, sans oublier d’extrême droite, qui tous, appellent à défendre la patrie, en resserrant les rangs derrière le drapeau tricolore. Un récent tweet de Mélenchon a annoncé son soutien à Dassault, lequel refuse de se mettre à disposition de l’Allemagne pour produire l’avion du futur. En clair, pour Mélenchon : priorité à l’indépendance et à la souveraineté française pour se défendre. Il faut tuer français et mourir pour les patrons français ! Cette déclaration montre clairement dans quel camp il se trouve, lui et tous ces politiciens qui se situent tous dans le cadre de ce système.
On nous dit qu’il y a le gros problème de la dette. Cette fameuse dette dépasserait les 3 000 milliards d’euros. Mais ce n’est pas la nôtre ! Elle n’a pas été creusée pour assurer les services utiles à la population, pour les hôpitaux, pour les écoles, pour les transports ! Non, elle a été creusée parce que tous les gouvernements successifs ont arrosé et continuent d’arroser le grand patronat. Les capitalistes qui ont déjà la bouche pleine en veulent toujours plus, et l’état continue de les gaver : 271 milliards d’aides aux entreprises ont été versés en 2023…
Oui, les capitalistes ont besoin de nous faire les poches pour maintenir ou accroître leurs profits, et pour ça ils nous mènent la guerre, dans les services publics, en bloquant les salaires, en fermant des hôpitaux, des écoles, et, dans les entreprises, par les licenciements, les bas salaires, les cadences insupportables, et l’augmentation de l’âge de la retraite, tout cela en s’appuyant sur l’état. Il faut avoir en tête que dans la société bourgeoise, tout le personnel politique, les hauts fonctionnaires, les grands officiers de l’armée, de la police et ceux qui accèdent aux hautes fonctions électives, sont sélectionnés pour être au service de cette classe capitaliste. Bayrou, Lecornu, et après-demain, ce sera peut-être Glucksmann, Bardella ou Mélenchon… Ils seront là pour nous faire payer et maintenir l’enrichissement de la bourgeoisie. Gouvernement et patronat nous déclarent la guerre. Il faut que, du côté des travailleurs, on se prépare à la faire.
Et du côté des confédérations syndicales, on en est loin ! Elles n’étaient pas à l’origine de la journée du 10 septembre. Alors, elles se sont empressées d’appeler le 18 pour reprendre la main. Il y a eu entre 500 000 et 1 million de manifestants. Suite à cela, les confédérations syndicales se sont réunies le lendemain, en demandant aux travailleurs d’attendre, et en faisant semblant de poser un ultimatum, on va réfléchir et peut-être qu’on lancera une autre journée de mobilisation. Et le 2 octobre est sorti du chapeau. Faire croire à cet ultimatum a été une diversion. C’est une façon de désarmer les travailleurs en leur faisant croire qu’on peut négocier avec les capitalistes, via le gouvernement.
Mais la seule volonté des centrales syndicales était de ne pas avoir affaire à un mouvement qu’elles ne contrôlent pas. La bourgeoisie nous a déclaré la guerre. Le rôle des organisations ouvrières serait de préparer les travailleurs à mener le combat. Il s’agit d’une question vitale pour nous et si on ne le fait pas, on va y laisser notre peau.
À l’évidence, les travailleurs n’y sont pas prêts, et la combativité n’est pas là et la conscience de classe, la conscience que nous les travailleurs appartenons à une même classe sur toute la planète capable de diriger la société, cette conscience a fondu à mesure que les partis de gauche nous promenaient d’élection en élection.
Nous n’avons pas à répondre au coup de sifflet des confédérations syndicales, qui vont nous entraîner dans une impasse. Nous devons défendre l’idée que les travailleurs doivent s’organiser par eux-mêmes et prendre la direction des luttes sociales. Il faut, et c’est possible dès aujourd’hui, créer des réseaux de travailleurs qui approuvent ces idées. Nous devons discuter de ces idées-là… Même si aujourd’hui, on n’en a pas encore la capacité, parce que la détermination, les grèves, la combativité, ne sont pas encore au rendez-vous. Mais cela peut changer vite.
Et au-delà des journées du 10, du 18 septembre, du 2 octobre et des prochaines, qui ne manqueront pas d’arriver, il faudra que nous, travailleurs, on se prépare pour discuter entre nous des actions à mener et que si demain, des ouvriers des grandes entreprises décident de se mettre véritablement en grève, s’il devait y avoir une vraie bagarre, un vrai combat social, il ne devra pas être dirigé par les dirigeants des confédérations syndicales, car eux, ils sont du côté de l’ordre.
Pour illustrer cet aspect, les syndicats qui défilaient en 68 à Besançon étaient regroupés derrière une banderole où il y avait écrit : « l’ordre, c’est nous ». Tout un programme. Mais plus près de nous, la patronne de la CFDT appelle non pas à faire payer la grande bourgeoisie, mais à partager les efforts. Comme si nous, les travailleurs, n’avions pas déjà assez payé, comme si nous, nous étions responsables de cette dette !
Alors on peut être certain qu’à un moment ou à un autre, ils nous trahiront. Et ça, il faut en être conscient. Mais pour ça, il faut qu’on discute, qu’on réfléchisse. Et contrairement au mot d’ordre mis en avant pour le 10 septembre sur les réseaux : pas de syndicats, pas de partis politiques, nous nous disons : les travailleurs doivent faire de la politique, leur politique et pas celle des politiciens. Il faut que les travailleurs se dotent d’une organisation, leur organisation, leur parti ! Pourquoi ? Parce qu’en face, ils sont organisés. L’État est centralisé, les patrons sont organisés, les grandes centrales syndicales, les flics et l’armée sont organisés.
Si on ne le fait pas, on se fera récupérer par tous ceux qui confisqueront notre mouvement, et voudront nous faire rentrer dans le rang, et là on sera perdant ! Il faut qu’on dirige notre propre mobilisation, notre propre grève. Oui, les travailleurs doivent prendre le pouvoir dans la société, pour empêcher la catastrophe qui menace. Et à travers les mobilisations, les grèves, il faut que les travailleurs décident de tout, de leur politique, de leur stratégie, de comment s’organiser.
Les patrons eux, font de la politique, à nous les travailleurs d’en faire aussi. C’est pourquoi il est vital que se maintienne le courant communiste et le fil des idées révolutionnaires. Un parti, c’est se regrouper, discuter, se faire un avis commun, agir ensemble. Cela aussi on peut le faire, dès maintenant. Alors, comment faire, comment construire ce parti, c’est de tout cela et pour tout ce dont vous avez envie de discuter que je vous donne la parole. Place au débat ! ».
Réunion publique de Lutte Ouvrière organisée le 29 février 2008 à la Mutualité (Paris), dans le cadre des élections municipales.
