La « journée internationale de visibilité transgenre » (« Trans Day of Visibility » ou TDOV, en anglais) est célébrée chaque 31 mars dans le monde et depuis peu, à Besançon. Cet événement, lancé pour la première fois en 2009 dans le Michigan, a pour objectif de mettre en valeur les personnes transgenres, non-binaires et intersexes, leurs luttes, leurs revendications, leurs existences et leurs vécus. Là où la journée du « souvenir trans » (20 novembre) rend hommage aux personnes transgenres décédé·e·s, il s’agit plutôt ici de célébrer les vivant·e·s. L’occasion pour ces communautés de se retrouver pour s’exprimer librement, de se soutenir.
À Besançon, la première célébration du TDOV en tant qu’évènement à part entière date de 2023. Organisé par les collectifs « Intransigeance » (militant·e·s non-cisgenres*) et « Transcomté » (entraide communautaire entre personnes non-cisgenres), la date s’impose de plus en plus fermement sur les agendas militants, le nombre de participant·e·s ayant presque triplé depuis la première édition. Le dimanche 30 mars dernier, on retrouvait au « Resto Trottoir » une table de presse. Quelques heures plus tard sur la place Granvelle, près d’une centaine de personnes étaient réunies pour écouter les prises de paroles des organisateur·ice·s et des participant·e·s.
Le climat politique et social actuel devient de plus en plus menaçant pour les droits des personnes transgenres, non-binaires et intersexes. La montée globale du fascisme affecte aussi énormément les droits des personnes queer. « Alors que nous profitons encore récemment d’une exposition médiatique importante qui permettait aux personnes trans, non-binaires et intersexes d’exprimer publiquement leurs existences et leurs engagements, cette dernière a peu à peu disparu au profit de discours d’extrême droitards et autres « femellistes ». Toutes les personnes concernées par la montée du fascisme alertent depuis des années sur la montée de ce dernier aux États-Unis. Aujourd’hui, force est de constater que les droits trans dans ce pays n’existent plus, la législation se durcit. Plus de passeports, plus le droit d’exister dans l’espace public, plus d’accès aux soins et plus de reconnaissance légale » (extrait de la prise de parole du collectif « Intransigeance » – TDOV 2025).
Le début des évènements et actions spécifiques aux luttes des personnes trans, inter et non-binaires est né d’un besoin, celui de se retrouver entre adelphes*, de créer des évènements en mixité choisie* ou en non-mixité*. Popularisée en France en 2017 lors du festival afroféministe Nyansapo à Paris organisé par le collectif Mwasi, la mixité choisie et la non-mixité permettent de se retrouver au sein d’une communauté désignée ou d’exclure une catégorie de personnes ne vivant pas une oppression spécifique. Dans le cadre des luttes trans, inter et non-binaires, la création d’espaces réservés à ces catégories spécifiques permet de parler librement, sans avoir à faire de pédagogie. Simplement d’exister. Et qui de mieux pour organiser ces espaces que les personnes concernées ? L’émergence d’événements spécifiques permet aussi de mettre en exergue les problématiques propres aux communautés non-cisgenres là où la Pride (marche des fiertés) par exemple regroupe toutes les communautés LGBTQIAAP+, laissant peu de visibilité aux revendications de chacun·e.
Contrairement à la Pride, les élu·e·s, politicien·ne·s et syndicalistes ne sont que rarement vu·e·s lors des évènements dédiés aux luttes pour les droits des personnes non-cisgenres. Personne n’est contre, mais personne ne prend le temps de venir non plus, considérant être déjà sensibilisé·e aux problématiques liées aux genres. Pourtant, dans les milieux syndicaux, politiques et institutionnels, on oublie systématiquement de se présenter avec ses pronoms, forçant les personnes non-cis à s’outer*, on oublie les risques liés à l’outing, ou on se considère tellement informé·e qu’on ne prend pas le temps de suivre ce que font les collectifs locaux. Les rares présences institutionnelles se font sous couvert de visibilité pour venir dire au micro qu’on soutient et qu’on co-organise parce que c’est gentil. On notera tout de même la grande victoire de ces rassemblements : un public majoritairement concerné, majoritairement jeune, qui laisse entrevoir une mobilisation active et durable.
Localement, les discriminations à l’encontre des personnes transgenres persistent. Remarques désobligeantes des officiers d’état civil lors des changements de prénom, insultes, menaces et violences physiques dans l’espace public, violences médicales, ou encore harcèlement scolaire. Une discrimination quotidienne à laquelle ces communautés font face aussi sur les murs de la ville. Des stickers fascistes aux graffitis sur les affiches, il apparaît évident que la lutte contre ces discriminations est plus que jamais nécessaire. « Pendant un collage, un groupe de six personnes, dont plusieurs membres du groupuscule la Cocarde Étudiante, nous ont suivi·e·s et insulté·e·s. C’était des trucs de gamins mais, ça montre quand même que la transphobie et l’enbyphobie* sont de plus en plus décomplexées » me rapportait un camarade.
En réaction à la montée des discriminations à l’encontre des personnes transgenres, non binaires et intersexes, les initiatives locales d’auto-support intra-communautaire se multiplient. Le collectif « Intransigeance » organise chaque mois des permanences en mixité choisie sans personnes cisgenres. Plus récemment, on a vu la création du collectif « Sales Queers » qui propose un service de nettoyage et rangement à domicile pour les personnes queer*, ou encore le collectif « Identités Sportives Besançon » qui organise, vous l’aurez deviné, des évènements sportifs et/ou sociaux pour les personnes non-cisgenres. Une preuve de plus s’il en fallait de la nécessité de mettre en place des évènements et temps en mixité choisie, mais aussi d’une mobilisation toujours plus grande prenant en compte les droits de toustes, une mobilisation intersectionnelle contre le fascisme et la banalisation des discours d’extrême droite.
Lexique
– Non-cisgenre : une personne cisgenre est en accord avec le genre qui lui à été assigné à la naissance. Le terme non-cisgenre englobe donc toutes les personnes qui ne s’identifient pas au genre qui leur à été assigné à la naissance (les personnes transgenres, non-binaires et intersexes donc) ;
– Gender queer : une personne dont le genre ne correspond pas aux normes binaires homme/femme ;
– Enbyphobie : discriminations à l’encontre des personnes non-binaires ;
– Queer : une personne dont le genre ou la sexualité n’entre pas dans les normes hétérosexuelles ou cisgenre ;
– Adelphes : mot épicène (neutre) pour désigner les frères et sœurs ;
– Mixité choisie / non-mixité : désigné le fait de se retrouver entre personnes d’une même communauté, ou d’exclure des personnes d’une certaine communauté. Aujourd’hui, de plus en plus d’événements antiracistes, queers ou féministes offrent des espaces sans blanc·he·s ou sans hommes cisgenres hétéro ;
– Outing/outer : dire qu’une personne faisant partie d’une catégorie opprimée fait partie de la dite catégorie sans son consentement. Dire qu’une personne trans est trans sans son consentement, c’est l’exposer à énormément de risque et partager une information intime à son sujet.
Illustration d’en-tête : Aperçu du premier TDoV à Besançon, le 18 novembre 2023 place des Droits Humains.