France On The Site Of A Fox Mass Grave

Ce jeudi 23 mai, un louvetier jurassien et agent de la police municipale a été reconnu coupable d’avoir illégalement amassé, au fond des gorges de la Lemme dans le Jura, une trentaine de dépouilles de renards. Jugé en CRPC, il a été condamné à 1 000 euros d’amende dont la moitié avec sursis. En outre dix parties civiles ont été reçues, obtenant un peu plus de 10 000 euros de dommages et intérêts (*).


Après le jugement, le Ch’ni fait un retour en arrière sur les faits. 

Dimanche 10 mars 2024, au lendemain de l’ouverture officielle de la pêche, une vingtaine de renards morts sont retrouvés dans le lit de la Lemme par Jean-Baptiste, un pêcheur du coin venu s’aventurer dans les gorges de cette rivière de première catégorie au cœur du parc naturel du Haut-Jura. Très rapidement, les services de l’État identifient l’auteur présumé du charnier. 

L’homme, policier municipal de profession exerçant à Lons-le-Saunier, est le louvetier attitré à la circonscription 23 du Jura. Autorisé à tirer sur plusieurs goupils dans le cadre d’un arrêté municipal pris par le maire de la commune de Fort-du-Plasne pour le premier trimestre 2024, il s’est débarrassé des dépouilles en les entassant illégalement au fond des gorges. Main dans la main, l’Association One Voice et le centre Athénas avaient porté plainte au regard de l’atteinte au milieu naturel que posait cet amas de cadavres.

Un charnier bien organisé par un policier de la chasse

Deux jours après la diffusion des images sur les réseaux sociaux, le Ch’ni s’était rendu sur place et avait retrouvé Patrick Virey, président de l’association des pêcheurs de la Lemme, sur la N5 entre le hameau du Bourg Derrière et de Morillon au bord de la route qui surplombe le lieu de la découverte du charnier. Alors que nous discutons avec lui, Pascal s’arrête à notre niveau et descend de sa voiture : « Ça me dégoûte ce genre de choses, je ne vois pas pourquoi en massacrer autant. Moi ça me hérisse quand j’entends que le renard est un nuisible, c’est nous les nuisibles ! C’est nous les prédateurs !” Les goupils ont-ils été jetés directement depuis la route ou bien descendus et entassés afin qu’ils ne soient pas visibles et ne puissent éveiller la curiosité ? Au regard de la configuration du terrain, il serait plus probable que la grande partie des renards, après avoir été abattus, aient été méthodiquement descendus. 

La préfecture communique sur l’affaire avec célérité en indiquant avoir retiré l’agrément au louvetier de la circonscription, qui serait à l’origine du charnier. “Puisqu’il est détenteur d’un permis de chasser, qu’il est nommé par le préfet et donc qu’il a sa confiance, le louvetier est un super chasseur” pointe Gilles Moyne, directeur de centre d’Athénas basé à l’Étoile avant de s’interroger, sur “la nature et la qualité des contrôles qui sont menés sur les activités des louvetiers”. Alors que les lieutenants de louveterie ont pour rôle de constater les infractions à la police de la chasse dans leur circonscription, comment est-il possible qu’un homme, policier municipal la journée, louvetier la nuit et censé faire appliquer et respecter la loi, puisse se débarrasser de cette manière de cadavres d’animaux dans ce lieu si inapproprié ?

Portrait de Patrick Virey, président de l'Association Agréée de Pêche et de Protection des Milieux Aquatiques (APPMA) de la Lemme, au bord de la N5. Debout et appuyé contre la barrière de sécurité, derrière lui les gorges de la Lemmes. Il porte une veste rouge et une casquette noire.
Patrick Virey, président de l’Association Agréée de Pêche et de Protection des Milieux Aquatiques (APPMA) de la Lemme, au bord de la N5, là où en contre-bas le charnier a été découvert le 10 mars 2024. Antoine Mermet / Hans Lucas.
Au fond des gorges de la Lemme à l'endroit exact où ont été retrouvées les dépouilles. C'est un endroit escarpé et difficile d'accès où seul des personnes habiles et connaissant la zone peuvent accéder. Photographie frontale de l'amont de rivière, à gauche de la photo (sur la rive droite de la Lemme), une berge de cailloux large de trois mètres où étaient entreposées les dépouilles.
Site exact où ont été découvert les cadavres. Deux jours après la découverte, les services de la DTT avaient “nettoyé” le site en laissant trois dépouilles dans la falaise, quelques morceaux de cadavres et des ossements. Antoine Mermet / Hans Lucas.

Des témoignages qui noircissent le tableau

“Un louvetier intervient dans un cadre réglementaire très précis, sur la demande du préfet ou dans le cadre d’un arrêté municipal que le maire doit justifier” indique Christian Lagalice, président de la fédération des chasseurs du Jura et louvetier durant près de 40 ans. Lorsque qu’il intervenait en tant que lieutenant de louveterie, il informait “par courtoisie” le maire ou le président de chasse local si l’arrêté ne l’obligeait pas à le faire. Sylvain Rinaldi, président de l’ACCA de la commune du Fort-du-Plasne, n’a jamais été informé que des tirs de nuit avaient été autorisés par arrêté municipal. Dans ce contexte, des habitants du village, qui avaient entendu des tirs la nuit, se sont demandé s’il n’y avait pas du braconnage sur la commune. “On a fait un peu une enquête. On allait voir les crampons de 4×4, on a vu du sang…” détaille Sylvain Rinaldi. Un soir, un de ses amis de chasse a entendu du bruit à quelques mètres de chez lui. Il ouvre la fenêtre et lance : “Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?”. La personne répond “Police de la chasse !”. L’homme à sa fenêtre comprend alors qu’il a à faire à un louvetier.

Pascal, l’automobiliste qui s’est arrêté à notre hauteur, dit avoir déjà constaté des dépouilles sur ce site : “Il y a quatre ou cinq ans j’avais été surpris de découvrir trois ou quatre renards allongés sur cette partie rocheuse et inaccessible de la Lemme et à l’époque j’avais pensé que la montée des eaux avait pu emporter des cadavres”. Aussi, le mercredi 13 mars 2024 en fin de journée, arrive sur la boite mail du centre Athénas un témoignage concomitant. Dans ce mail, il y a trois photos prises par un pêcheur le 2 mai 2022 à l’endroit même où les dépouilles ont été retrouvées cette année. On y distingue de manière claire cinq renards. Deux témoignages concomitants qui, au regard de la découverte de cette année, reflètent un certain usage .

Indignation générale

“A partir du mois de mars, quand c’est déclaré qu’il y a beaucoup de renards, on peut faire des battues aux renards en tire à plombs en tant que société de chasse avec des équipages particuliers. Mais faire appel à quelqu’un pour aller tirer la nuit ce n’est pas de la chasse, c’est de la barbarie. On a des paysans qui nous demandent de pas tirer les renards pour éviter la prolifération des mulots, et par là-dessus vous avez des louvetiers qui massacrent tout. Il va falloir qu’ils raccordent leurs violons.” s’indigne Sylvain Rinaldi avant d’ajouter que “c’est inadmissible de les jeter là-bas, c’est une évidence que les renards auraient dû être montés à la déchetterie du Col de la Savine”, là où se trouvent des bennes réservées aux “déchets” de chasse.

Gislaine est “révoltée et en colère”. Venue prendre un café à Saint-Laurent-en-Grandvaux pour écrire à son fils, elle estime que “ce massacre, ce genre de violences entraîne de la violence, des conflits” et se questionne : “quel dialogue peut-on avoir face à des gens comme ça ?”. Même son de cloche à la boucherie. Derrière son comptoir, Sébastien considère que l’acte est “étrange, pas normal et illogique” au regard de la fonction de la personne mise en cause. Mickaël venu acheter des provisions souhaite que la personne soit punie “comme il faut”. Sébastien abonde : “Si c’est bien le louvetier, il va falloir faire quelque chose pour que les gens s’en rappellent”.

Gilles Moyne est scandalisé : “On est sûr de l’abatage surdimensionné. Il y avait de très nombreux cadavres frais, c’est-à-dire qu’en l’espace de très peu de temps de nombreux renards ont été abattus. Si ça se trouve seulement deux étaient vus sur la commune et un causait des désagréments. Les personnes qui aiment tuer trouvent à travers un cadre réglementaire un moyen de s’exprimer”.

Le Lemme ; un trou d'eau et un petite chute de la d'eau en aval de l'endroit où ont été retrouvées les dépouilles.
La Lemme, ou l’Ayme jusqu’en 1789, est une rivière de 1ère catégorie, où l’on retrouve donc principalement des salmonidés, et qui prend sa source à la Fontaine du cul, au pied du col de la Savine. Antoine Mermet / Hans Lucas.

ESOD pour Espèce Susceptible d’Occasionner des Dégâts

Auparavant, le terme “nuisible” était employé pour définir les espèces qui pouvaient porter atteinte à la sécurité publique, à la santé publique ou à l’équilibre économique. L’acronyme ESOD, pour Espèces Susceptibles d’Occasionner des Dégâts, l’a aujourd’hui remplacé. 

“Ce qu’il faut savoir, c’est que le classement est fait par une commission départementale qui se réunit en préfecture et cette commission départementale n’a pas le courage de déclasser le renard comme nuisible puisqu’elle est composée de gens qui ne veulent pas déplaire à d’autres” se positionne Michel Pritzy, lui qui, depuis plusieurs dizaines d’années, se bat protéger le renard. Producteur de lait comté sur la commune de Chapelle-d’Huin dans le Haut Doubs, il connaît bien le rôle que joue le renard dans les prairies. En 2017, il fonde le “Collectif Renard Doubs”, qui regroupe aujourd’hui 40 structures liées à la protection de la nature. “Puisque le renard est ESOD, on est obligé d’utiliser des produits chimiques pour éradiquer le campagnol. Car étant classé ESOD il est toute l’année chassable, abattable, déterrable, par les gens qui sont mandatés pour faire ça” raisonne-t-il. Le renard étant un gros mangeur de campagnols il évite, lorsqu’il n’est pas chassé, que les petits rongeurs pullulent et dévorent toute la bonne flore des prairies naturelles franc-comtoises. 

Alors qu’une grande étude nommée CARELI est en cours sur deux zones du Doubs pour savoir s’il est nécessaire de garder ou non le renard dans la catégorie des ESOD et qu’un récent avis de l’ANSES “relatif à l’évaluation des impacts sur la santé publique de la dynamique des populations de renards” est paru et qui conclut que “sauf situations sanitaires très particulières nécessitant des mesures locales et ciblées, la réduction de populations de renards ne peut pas être envisagée comme option globale pour lutter contre un agent pathogène”, il est intéressant de voir pour quoi l’arrêté a été pris sur la commune. Ainsi, le louvetier a été autorisé à “mettre fin, pour des problèmes de sécurité et de santé publique, à la divagation d’un ou plusieurs renards sur l’ensemble de la commune de Fort-du-Plasne”. Les études en cours pourraient bien balayer les vieilles croyances de certain·e·s.

Lors l’audience il a beaucoup été question de l’endroit où l’homme s’est séparé des dépouilles. Dans un contexte où des études viennent questionner le caractère “nuisible” du renard, la quantité de renards tués aurait mérité aussi d’être interrogée.

* Ayant dix jours pour contester la décision, sa culpabilité n’est pas définitive.

Illustration : un cadavre oublié par les services ayant “nettoyé” la zone. Antoine Mermet/HansLucas.

Dans un moment où la fonction de louvetier est en pleine restructuration à l’approche de la nomination des louvetiers pour la période 2025-2029 et où le plan d’action 2024-2029 prévoit d’accélérer les délais d’attribution des autorisations de tir sur la population lupine, de faciliter l’accès à la fonction de louvetier notamment aux agriculteurs afin qu’ils puissent “participer de manière active à la défense des troupeaux” et de leur financer les déplacements et du “matériel performant”, cette affaire met en lumière une carence de l’État en matière de contrôle de ses hommes de confiance sensés joués un rôle de médiation dans un moment où les questions autour des pratiques cynégétiques cristallisent les débats et sont questionnées par les rapports scientifiques.