462539328 1548304722744910 5238316589163636934 N

Surveillant·e·s, pion·ne·s, ou grands frères/grandes sœurs, gentil·le·s flics, casse-couilles, parfois tyrans. Voilà certaines des appellations que les élèves peuvent nous donner, à nous, les Assistant·e·s d’Éducation (AED). Et quand de rares fois, l’un·e d’entre elleux parle d’AED, chez les autres, c’est souvent l’incompréhension. Nous sommes pourtant indispensables à la vie des établissements et, quelques fois, aussi des militant·e·s. Enfin on essaie.


« C’est quoi un·e AED ? »

Les élèves ne le savent pas, les parents non plus d’ailleurs, même parfois, les collègues profs ne connaissent pas ce titre. Si elles et ils l’ont entendu, c’est de notre bouche la plupart du temps. « Ça veut dire Assistant d’Éducation ». Ça leur paraît bizarre, d’où est-ce que ça sort, et ça ne les avance pas plus sur le sens de ce titre. « Et le D de AED il veut dire quoi du coup ? ». C’est vrai que c’est une très bonne question. D comme Discipline pour certains. Pour d’autres c’est ED pour ÉDucation, mais là encore ça semble flou.

Pour répondre à la question, il y a la loi de 2003. C’est un métier de contractuel de l’Éducation Nationale avec tout un tas de missions. En plus, ça dépend des établissements, du niveau des élèves, des conditions, du milieu, et de pleins d’autres paramètres et d’assignations qu’on ne comprend pas nous-mêmes. Par exemple « aide à l’utilisation des nouvelles technologies ». Qu’est ce que c’est, une nouvelle technologie ? Qui nous a formé·e·s à ça ?

Peut-être qu’il faut creuser le nom alors. Assistant, qui ramène au verbe « assister » : assister à quelque chose ou assister quelqu’un ? Est-ce qu’on assiste, qu’on voit, qu’on surveille l’Éducation ? Est-ce qu’on est juste une paire d’yeux, pas plus utile que des caméras ? Ça semble quand même très passif, comme si nous n’avions aucune emprise sur ce qu’il se passe devant nous, mais ça collerait bien avec le nom de surveillants ou de flics que nous donnent les élèves.

Voyons alors l’autre définition, assister quelqu’un, assister l’Éducation ? Comme les assistants des magiciens ? C’est sûr que gérer plus de 30 gamins dans une classe, sans moyens, et affirmer faire de la pédagogie, ça relève un peu de la magie. Mais dans l’idée ça collerait quand même plus à nos missions. Accompagner, participer, aider, même si, souvent, on a quand même plus l’impression d’assister que d’assister. Mais surtout, c’est quoi cette « Éducation » qu’on assiste ?

« Éducation Nationale » ? Mais du coup, qui dans l’Éducation Nationale et pourquoi ? Les profs, les CPE et l’administration, déjà, pour la gestion des absences, des transferts de responsabilités, des colles, du courrier, des dossiers pas triés, de l’application de protocoles irréalisables à des années-lumière de la réalité du terrain, dictés comme parole d’évangile par des ministres et à appliquer du jour pour le lendemain. Tout ça avec des ados dont le seul objectif du moment est de remettre en cause toute forme d’autorité…

Justement, ces ados qu’on appelle « élèves », on les aide, en fonction de nos propres habitudes et connaissances, pour leurs devoirs, leurs clubs, leur vie sentimentale, familiale, leurs questionnements existentiels, éducatifs et professionnels. On les engueule, parfois, on rit aussi, ça dépend des fois. On est tour à tour psychologues, conseillers d’orientation, éducateurices spécialisé·e·s, parents de substitution. Qu’on le veuille ou non, ces gosses affectent notre vie et on affecte la leur, des vies scolaires, mais pas que.

Photo 2024 11 03 15 55 07

« C’est qui les AED ? »

Ça dépend des endroits, encore une fois. Dans les établissements scolaires des villes qui possèdent des universités, souvent, une majorité d’étudiant·e·s, souvent déjà précaires. En dehors, beaucoup de mères célibataires en reconversion, des gens du coin, des ancien·ne·s élèves qui sont rarement formé·e·s à s’occuper d’autres êtres humains. Dans tous les cas, on bosse pour l’Éducation Nationale, donc on est des « branleurs de fonctionnaires » et nous, comme on est que contractuel·le·s, on fait même pas un vrai travail.

Mais depuis le 16 décembre 2022, les AED ont la « permission » d’être cédéisé·e·s. Est-ce que ça en fait pas un vrai travail ça ? Hein ? Bon, il y a quand même six années de « période d’essai » puisque que le CDI ne semble pas possible avant et que c’est le nombre maximal d’années en tant que contractuel·le. C’est un peu comme les Accompagnant·e·s d’Élèves en Situation de Handicap (AESH), elles (parce que c’est quand même plus de 90 % de femmes) n’ont que trois ans avant d’être « permises » de CDI. Des vraies privilégiées de la précarité !

Parce que oui, on ne va pas se mentir, tout ce petit monde est précaire. Avec des quotités de travail entre 25%, 50%, 75% et 100% équivalents à environ 10h, 20h, 31h et 42h hebdomadaires, pour un salaire plancher au SMIC. C’est pas là que se trouve le déficit du budget de l’État. On est loin de ce qu’il faudrait pour cumuler décemment travail et études universitaires ou vie de mère célibataire, que ce soit au niveau temporel ou financier.

Pourtant, comme plein d’autres métiers précaires, on est indispensable au bon fonctionnement de nos lieux de travail. Il n’y a qu’à voir quand on fait grève. Plus d’internat, plus de gestion des absences, une surveillance bancale aux tendances autoritaires, les sacro-saints protocoles abandonnés, l’administration perdue, incapable de nous remplacer dans nos missions qu’iels ne connaissent pas. Des fois même, certains établissements ferment. Tout ça parce que les planqué·e·s fainéant·e·s ne sont pas là.

Ces dernières années, ça arrive souvent, les grèves. Avant la Covid-19, puis autour de la promulgation de la loi de 2022, mais aussi pour avoir droit à des primes dans certains établissements, pour certaines missions. Ce sont des petites luttes, mais qui ont fini par aboutir sur de petites victoires. Malheureusement, beaucoup de collègues ne sont plus là pour les fêter. Dates de péremption des contrats arrivés à leur terme ou reconversion vers des horizons moins précaires, c’est difficile de maintenir une continuité.

Il faut dire que souvent dans ces six années, on enchaîne six CDD, chaque année une équipe peut complètement changer. Et si ça, tout le monde le déplore, collègues, élèves, parents, personnels, ça n’a pas l’air de choquer dans les rectorats et le ministère. Après tout, c’est un travail facile, sans diplôme autre que le bac et dans les villes, il y aura toujours de la main-d’œuvre étudiante pour combler les départs. C’est pas pour rien qu’on appelait ça des pions. Un pion ça se remplace et souvent même, ça se sacrifie.

Dessin d'une personne assise à la chaise de son bureau, en train d'écrire à une main, avec un pied, devant un ordinateur, tout en téléphonant. On vient la trouver : Muriel t'attend dans la cour. La personne débordée répond : je finis de rien branler et j'arrive
Pendant qu'autour d'elle, d'autres personnes appellent : m'sieur ! le père de Jules vient d'arriver. T'as une minute ?


Pions ou militant·e·s, pas les deux

Ces sacrifices, on les retrouve régulièrement dans l’académie de Besançon. Que ce soit à Besançon même ou dans d’autres établissements de la région, on a souvent des histoires de non renouvellements, d’abus ou de ruptures de période d’essai qui nous parviennent. Une des dernières rumeurs en date concerne une collègue qui aurait alerté sur des violences sexistes et sexuelles et qui aurait vu sa période d’essai rompue. Pas de vagues dans l’Éducation Nationale, surtout quand elle vient des bas-fonds.

Ces histoires sont nombreuses et les syndicats comme la presse ne peuvent que rarement s’en emparer, tant la machine est bien rodée. Les écrits sont rares et les nécessités de justifications de non renouvellement sont inexistantes. Bien pratique pour se débarrasser de personnes encombrantes par leurs questions, leurs revendications ou leurs actions. Du fait de la précarité de l’emploi, les collègues sont aussi rarement au courant de leurs droits et trop souvent, les entretiens avec les supérieurs se font sans accompagnement et dans un cadre paternaliste, comme pour des enfants.

Mais ce qu’il s’est passé en 2020, après une demi-année de lutte contre une réforme des retraites et l’autre moitié de confinement et de déconfinement protocolaire, reste pour beaucoup le plus gros nettoyage de vies scolaires fait dans l’académie. Dans plusieurs lycées et collèges, les équipes sont tronquées de plusieurs AED : « j’ai décidé de ne pas procéder au renouvellement de votre contrat », une seule phrase, jetée sans justification aux collègues, souvent les plus engagé·e·s.

Il faut dire que nous, nervis de la vie scolaire, avions eu l’audace de nous monter en collectif pour la défense de nos droits, que nous avions organisé, avec les syndicats de branche, des tractages, blocages et manifestations. Certain·e·s avaient même rejoint un collectif national pour s’organiser sur l’ensemble du territoire. Il faut dire que quand on les laisse sans surveillance trop longtemps, ces gens, censés être « gardiens de la prison scolaire », sont capables de constituer des lobbys précaires pour défendre leur droits. Il faut donc les faire taire.

Ce sont donc deux ou trois dizaines d’AED, à qui on a subitement annoncé la fin de leurs contrats. Certain·e·s en poste depuis un an, d’autres depuis plusieurs années, sans distinction. Il y a eu des tentatives de discussions, de négociations, d’alertes mais rien n’y a fait. Même quelques procédures au tribunal administratif ont été entamées, mais finalement arrêtées. Les AED sont des pions interchangeables de l’Éducation et ce n’est pas à elleux de décider de leur organisation.

Si aujourd’hui la profession a gagné quelques miettes, elle a aussi beaucoup perdu au fil des années. Des collègues, des camarades, des ami·e·s, mais aussi la foi en une institution dans laquelle certain·e·s se destinaient à faire carrière. Malgré les conditions, beaucoup gardent de bons souvenirs et se rappellent des moments passés à accompagner les élèves. Au final Assisté·e·s ou Assistant·e·s de l’Éducation, ce sont celleux qui auront assisté sans agir qui ont pu le plus garantir leur avenir.

À lire aussi