Hier vendredi 11 juillet au TGI de Besançon, une audience était consacrée à l’examen d’une agression transphobe. Romain Jacquinot, vingt-et-un ans, intérimaire, se voyait ainsi reproché des « violences volontaires aggravées » notamment par le caractère discriminant de l’atteinte. Reconnu en partie coupable, il a écopé de dix mois d’emprisonnement aménageable adjoints de peines complémentaires comme l’interdiction de port d’arme. Évoluant au sein d’une famille ancrée auprès du « Rassemblement National » et déjà condamné pour sa participation aux émeutes racistes de Romans-sur-Isère, le profil de ce militant néonazi était au cœur des débats. Pour le ministère public comme les parties civiles, ce dossier constituait « le procès de la haine ». Une issue judiciaire toutefois incomplète, dans l’attente d’un second protagoniste « toujours dans la nature ».


« Pédales, sales trans »
Dans la soirée du vendredi 4 au samedi 5 août 2023, un bisontin et ses ami·e·s flânent dans une brasserie populaire du quai Vauban. Personnalité LGBT+ portant un tee-shirt « pride » et un sac « queer », il y croise par hasard un petit groupe d’extrême droite alcoolisé dont un membre l’invective. Quittant seul l’établissement vers 02h15, afin de gagner son domicile, il se rend compte, place de la Révolution, qu’il est suivi par un des individus aperçus plus tôt, vite rejoint par un second. Il s’abrite dans un portique de la rue Gambetta en espérant leur départ, mais ceux-ci s’installent à proximité et l’attendent. Profitant d’une inattention pour s’éclipser, le trentenaire est finalement traqué, jusqu’à la rue Bersot, où il rejoint un contact qui promène son chien, appelé à son secours. Les deux compères et l’animal ont beau se planquer dans un renfoncement, ils son repérés et attaqués.

Après une phrase ironique demandant si « ils passaient une bonne soirée ? », le déchaînement de violence se matérialise. L’un reçoit un crochet au visage qui provoque une hémorragie, pendant que l’autre est mis au sol et roué de coups au même titre que le canidé en laisse. Les propos explicites s’invitent en parallèle du lynchage, « pédale » et « sale trans » étant notamment relevés. Ainsi que l’illustrent les certificats médicaux dressés par l’IML et le CHRU Minjoz, les lésions sont notables dont une au niveau du nez avec fracture et déplacement. Grâce à l’intervention de riverain·e·s qui fêtaient un anniversaire à proximité, les sévices s’interrompent avec la fuite du tandem et l’arrivée des services de police. Une procédure pénale est engagée dès le lundi suivant à la Gare-d’Eau, des noms probables étant tout de suite évoqués et retenus : Ilann Fabre et Romain Jacquinot.

Ilann Fabre, présent dans l’établissement, avait déjà insulté l’une des victimes, quelques semaines plus tôt, avant de héler son complice, durant l’offensive, par son prénom, dont le signalement physique correspond d’ailleurs à la description opérée par les plaignants. Près de deux ans d’investigations plus tard, Romain Jacquinot est donc renvoyé en correctionnelle. Mais seul, étonnamment. « Lorsqu’il a été convoqué pour s’expliquer, son complice était en prison. Le temps de remettre tout ça sur les rails, il a été libéré. Depuis on ne le retrouve pas, mais on ne le lâchera pas » explique le parquet. En attendant, pour la défense, c’est Maître Mathieu Sassi qui a été désigné, un habitué des causes ultranationalistes et lui-même porté sur les discours nauséabonds, relayant, par exemple, le 11 juillet, via « X/Twitter », la prose du groupuscule « Luminis », proclamant « LGBT = pédophilie ».


Une logorrhée un brun complotiste
En premier lieu, le défendeur va surtout s’employer à soulever de multiples nullités de procédure : exploitation des archives de vidéosurveillance, analyse des bornages téléphoniques, jusqu’à la convocation dont la citation aurait été mal rédigée. Constatant, dans les deux premiers cas, que les règles de forme n’ont, en effet, pas été pleinement respectées, ces pièces et leurs annexes, particulièrement accablantes, se verront écartées du débat. Mais le mis en cause n’en passera pas moins à la barre, tout en choisissant de rester complètement mutique face aux différentes questions posées. Dans un numéro de ventriloquie, Maître Mathieu Sassi va alors s’attacher à transformer le procès en tribune. Stars de son argumentaire, « le Ch’ni », journal local et indépendant, et son Directeur de la Publication, Toufik-de-Planoise, cités ou désignés une trentaine de fois en deux heures.

Entre la révélation de l’affaire et la constitution de dossiers de fond, l’avocat va tenter de dépeindre un climat de harcèlement et de terreur rouge contre « l’autre camp ». Une horde d’antifascistes aurait ainsi pris le contrôle de la ville, contaminant habitant·e·s, médias, jusqu’aux autorités, dont le responsable d’enquête, égratigné. « La présence d’un comité de soutien me facilite la tâche, car j’avais peur de devoir convaincre. Mais regardez ça, derrière. Il y a même la Jeune Garde, son logo apparaît sur un tee-shirt ». Alors que l’organisation visée n’a jamais existé localement, le symbole repéré s’avère être en fait celui des « trois flèches » initié en 1932 par les sociaux-démocrates. Quant au public, on retrouve une quinzaine de personnes, surtout sexisées, incluant des membres de la communauté LGBT+ du secteur, quelques professeur·e·s de lettres, ainsi qu’une poignée de proches.

Mais s’accrochant à la théorie de prétendues batailles de rues orchestrées par le spectre d’ultra gauche, dont cet épisode ne serait que l’ultime réponse de patriotes acculés, le ténor rate l’essentiel et suscite l’agacement. La Procureure, Margaret Parietti, finissant par exploser, fustigeant un Romain Jacquinot incapable d’aligner plus de deux mots sans être pouponné. « Monsieur, où étiez-vous la nuit des faits ? » insiste pourtant le Président, Robert Pêch. « Je. Je ne sais plus trop… » va-t-il brocarder, avant d’être immédiatement repris par son conseil. Le magistrat insiste, néanmoins : « Interrogé durant l’enquête, vous avez indiqué que vous vous trouviez sur la base de Bretigny-sur-Orge jusqu’au dimanche soir où vous officiez comme militaire. Vérifications faites auprès de votre supérieur, vous étiez en permission dès le vendredi matin. Alors, que pouvez-vous nous en dire ? » Silence persistant.


Croix gammée, Mein Kempf, saluts fascistes…
Pour les parties civiles, Maître Octave Nitkowski, connu pour ses chroniques à Hénin-Beaumont, examine la personnalité du prévenu. « Vous êtes un activiste néonazi, c’est indiscutable. Croix gammée, Mein Kempf, saluts fascistes, la totale, tout est documenté. Votre camarade, Ilann Fabre, aujourd’hui dans la nature, il était bien avec vous lors des émeutes racistes de Romans-sur-Isère, à la suite desquelles vous avez été condamné et incarcéré ? » À ces interpellations, rien de concret ne sortira. Plutôt que de dissiper toutes ces zones d’ombres embarrassantes, Maître Mathieu Sassi va s’atteler à la rhétorique au moment où les victimes sont entendues. Après avoir formellement identifié Romain Jacquinot comme étant le second protagoniste, elles décrivent les lourds traumatismes de cette agression pour elles et leur chienne. Dans une énième bravade, l’avocat s’hasarde à renverser la culpabilité.

« Vous affirmez que vous la promeniez à deux heures du matin, mais qui peut croire ça sérieusement ? Moi, je pense que vous êtes venu avec ce molosse pour en découdre ». Peu importe si la bête est âgée, maladivement craintive, porteuse d’un handicap et pesant tout juste treize kilos. Maître Octave Nitkowski fulmine, dénonçant une volonté d’enfumage. « Mon confrère veut faire de la politique, ça tombe bien puisque ces deux jeunes hommes ont été ciblés à cause d’idéologies haineuses. C’est par ce qu’ils sont trans qu’ils ont été méthodiquement choisis, traqués, passés à tabac par Romain Jacquinot et Ilann Fabre. Les témoignages, dont celle de la gérante du bar, les constats de la médecine légale, les dépositions circonstancielles et constantes, la reconnaissance ferme et réitérée des victimes encore à l’instant, le parcours édifiant et les mensonges flagrants de Jacquinot… Ici, tout est parfaitement clair ».

Représentant le Ministère Public, Margaret Parietti ne mâche pas ses mots. « Quand les choses sont limpides, on trouve des vices pour éviter ce qui gêne. Ou on accuse l’animal de compagnie, qu’il serait inconvenant de sortir après minuit. Mais les éléments sont manifestes, en particulier les injures ». D’une remise en cause des blessures à la responsabilité des auteurs qu’il implore de séparer, Maître Mathieu Sassi croit en une relaxe. « Romain Jacquinot n’a frappé qu’un des deux, le vrai responsable de cette histoire n’est pas là » lance-t-il en référence à Ilann Fabre. La cour, motivant « le faisceau d’indices », prononce une condamnation partielle, estimant l’infraction caractérisée pour un cas, en retenant a fortiori la « discrimination » et la « réunion », avec une peine conforme aux réquisitions de la Procureure, en plus des sommes dues s’élevant à 2 300€ de dommages et intérêts aux parties civiles.

Avertissement

Le présent compte-rendu retranscrivant l’audience et le délibéré d’une procédure jugée en première instance, les éléments présentés, en particulier la relaxe et la condamnation ainsi que les peines associées (dix mois de prison ferme aménageable probablement sous bracelet électronique, cinq ans d’interdiction de port d’arme, cinq d’interdiction d’entrer en contact avec les victimes ou de se rendre à leur domicile, 2 300 euros de dommages et intérêts dont 1 200 euros de préjudice moral, 300 euros de préjudice corporel, 800 euros de frais de procédure) sont susceptibles d’évoluer au pénal et au civil devant une cour d’appel voire de cassation. Aussi, la décision n’étant donc pas définitive à ce jour, Romain Jacquinot bénéficie pleinement de la présomption d’innocence ; concernant son complice présumé, Ilann Fabre, qui n’a toujours pas comparu, ce principe s’applique également. Si cette affaire devait connaître une quelconque suite, nous le mentionnerons par une mise à jour.

 

Illustration d’en-tête : Traces des sévices subis par l’une des victimes, fracassée par des néonazis car LGBT+. Photographie prise quelques minutes après son lynchage, le 5 août 2023 à Besançon.

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