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Après la présentation générale de la situation linguistique de la Franche-Comté (voir la comtoiserie n°1), intéressons-nous désormais à la langue régionale de Besançon, sa capitale. Du franc-comtois, oui, mais sous la forme d’un dialecte nommé bousbot.

Bousbot ? Quel drôle de nom ! Mais c’est là l’une des premières mentions véritables de la présence de la langue franc-comtoise à Besançon, lorsqu’en 1575 la population de Battant repoussa l’assaut des Huguenots de Montbéliard. Ainsi naquit le nom de Bousbot, du verbe « boussaie » (pousser) et du nom « bot » (crapaud) ; les pousses-crapauds car « bot » était alors le surnom péjoratif donné aux Réformés à Besançon. Ce gentilé de Bousbot deviendra vite celui de leur dialecte dans lequel sera rédigé un des plus anciens textes connus en franc-comtois, le Dialogue de Porte Noire et Pilory sur la prise de Besançon par les Français (1668). Le texte évoque ainsi le conflit entre partisans de l’Espagne et de la France, dans une Franche-Comté ravagée par les troupes armées de Louis XIV. Finalement, l’annexion par la France se fera en 1678 avec les Traités de Nimègue et les pouvoirs législatifs du Parlement de Dole seront transférés à Besançon.

Ainsi, au XVIIIe siècle, la nouvelle capitale comtoise s’imposera comme un centre littéraire d’importance pour la langue. Seront alors édités de nombreux textes dont Plusieurs dialogues tant en français qu’en patois sur Besançon (1715), La Jacquemardade (1753), L’arrivée d’une dame en l’autre monde habillée en panier (1753), Essay d’un dictionnaire comtois-françois par Marie-Marguerite Brun née Maison-Forte (1753). Ce dernier est en réalité un brulôt en faveur de la langue française, mais il s’inscrit tout de même dans un grand siècle d’édition marqué notamment par Les Noëls au patois de Besançon qui connaîtront diverses éditions. Les Noëls, c’était le livre que les familles ressortaient durant la période l’Avent afin de suivre les efforts des vignerons de Battant pour accueillir au mieux Marie, Joseph et l’enfant Jésus. Voilà la tradition de Noël la plus représentative de Besançon avant l’avènement du grand classique de la littérature comtophone – La Crèche – avec les personnages de Barbizier, Lai Naitoure, Lou Compâre. De simple livre, la Crèche deviendra un théâtre de Marionnettes puis une crèche vivante.

Mais malgré le succès de La Crèche au XIXe siècle, la langue franc-comtoise de Besançon déclinera en même temps que la vigne atteinte du phylloxéra. Comme un dernier témoignage de ce lien si intime entre une langue et son environnement, restera une lettre de 1903 qu’un vigneron de Bregille nommé Bauti adresse au maire Henri Baigue ; preuve que le premier édile de la ville parlait encore franc-comtois au début du XXe siècle. En 1923, des manifestations régionalistes secouèrent pacifiquement le Pays Comtois et une sera organisée à Besançon pour dénoncer (déjà) le projet de fusion entre la Franche-Comté et la Bourgogne, mais le fait linguistique ne sera que peu évoqué face aux revendications économiques… La guerre est passée par là. Ainsi faudra-t-il réellement attendre l’après Mai-Juin 1968 pour attester d’un regain d’intérêt pour la langue. Lorsque, en plein conflit LIP en 1973, une devise en bousbot apparaîtra : Pou piai t’ni, craya an l’aivni (Pour pouvoir tenir, croyez en l’avenir). En 1975, Jean Garneret rééditera la célèbre Crèche, suivi plus tard par la grande linguiste Colette Dondaine avec sa réédition des Noëls en 1997. Puis l’intérêt s’estompera de nouveau, la dernière association comtophone des environs de Besançon, celle de Pugey, arrêtant toute activité dans cette décennie.

Maintenant, parlons au présent, car les années passent en ce début de XXIe siècle et contre toute attente, en 2020, deux plaques en franc-comtois mentionnant la « ruë d’Oleine » (rue d’Arènes) et la « ruë de Revire-Manté » (rue Thiémenté) apparaissent dans le quartier Battant. L’année d’après paraît aux Éditions Cêtre Lou Péquignot Prïnce, la traduction en franc-comtois moderne du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry. Ainsi l’espoir demeure de voir une jeunesse se réapproprier le « frainc-comtou » et si vous traversez les rues de « B’sançon », tendez bien l’oreille, car peut-être entendrez-vous parler Jean Philippe Gable du quartier des Chaprais, qui, à 36 ans, est le plus jeune comtophone de la ville. Co-iniateur du projet de développement de la signalisation bilingue français/franc-comtois, celui-ci est soumis aux votes sur le site des ateliers citoyens ; cent signatures sont encore nécessaires pour la continuité du projet, que vous pouvez retrouver en suivant ce lien.

Illustration principale : la plaque de rue bilingue francophone/comtophone, installée dans la rue d’Arènes à Besançon.