Frédéric Vuillaume Gilets Jaunes01 06 2019 Champagnole 1

Un samedi matin de janvier 2025, le mercure est encore timide dans l’agglomération de Besançon. Pour trouver Frédéric Vuillaume, c’est donc autour d’un feu animé au rond-point de Chalezeule qu’il faut chercher. Depuis plus de six ans désormais, ses comparses et lui occupent inlassablement les lieux chaque week-end. Mais si ces derniers temps il s’est fait un nom comme « gilet jaune » emblématique de la région, le jeune cinquantenaire a aussi – et surtout – d’autres vies. Origines jurassiennes modestes et ouvrières, agent d’entretien dans les lycées, militant anarcho-syndicaliste, père de famille, habitant du quartier de Planoise… Derrière la chasuble et les gardes à vue répétées, nous sommes allés à la rencontre de l’homme, son parcours, ses combats, ses doutes. Une fresque inédite, pour notre portrait du mois.

Affable, sincère, déterminé, irritant, grande-gueule… Quand on demande au tout-venant quel qualificatif désignerait au mieux « Fred », ce sont ces mots qui reviennent le plus souvent. Largement associé à la révolte initiée un certain 17 novembre 2018, l’intéressé ne quitte d’ailleurs jamais son pendentif équivoque, signé de l’artiste Frédéric Lanoir et offert en mars 2020 par ses camarades de Lure (Haute-Saône) et Pontarlier (Doubs). Dans l’imaginaire collectif, il reste en effet définitivement compliqué d’imaginer ce gaillard autrement qu’en fluo et muni d’un porte-voix. Un aspect certes déterminant de son profil, mais qui ne saurait résumer l’entièreté d’une existence en réalité bien chargée. L’histoire commence ainsi en 1971 à Champagnole, commune jurassienne de 8 000 âmes tournée vers l’industrie et ayant porté une majorité sous étiquette « SFIO » de 1947 à 1973.

Champagnole Avenue De La Republique. Sidewalk Cafe. Spielvogel 2013
Champagnole, vue du vieux-centre – Spielvogel/cc-zero.


Une jeunesse marquée par la désertification rurale

« Je suis issu d’une famille catholique et modeste, avec un père très dur. Une fratrie de quatre garçons, dont un frère est décédé à treize ans d’un cancer en récidive. Je n’ai pas eu d’éducation politique car les parents n’étaient pas là-dedans, même si je lisais Pilote et l’Écho des Savanes. Mais on a toujours vécu par rapport aux usines du coin, cette conscience de classe n’avait pas besoin d’être verbalisée par des discours pour exister » nous livre Frédéric Vuillaume. Naturellement, il occupe ses vacances scolaires en petits boulots et tente en vain un « BEP électricité » à Saint-Amour. « À l’époque il y avait encore de l’activité, moi j’ai pas mal travaillé dans les fabriques de jouets, la fonderie ou les commerces. Mais la situation s’est vite détériorée à partir des années 1980 et 1990, sans perspectives ni ressources, j’ai alors pris ma plume pour alerter le député-maire Jean Charroppin de ce que les petites gens subissaient ».

Comme pour bien d’autres localités comtoises, la désertification passant par là, un exode s’est institué. Après un service militaire chez les « fusiliers commandos de l’air » à Lyon au gré des clashs avec les gradés, il suit donc son épouse qui vient de trouver un poste à la clinique Saint-Vincent de Besançon. Des ateliers « d’Augé » aux portes des HLM en tant que « vendeur ambulant », les contrats s’enchaînent. Avant de postuler au rectorat, arrachant un emploi contractuel pour de menus travaux dans les lycées. Titularisé grâce à un concours « OEA », Frédéric Vuillaume formalise son activisme. « Ici, tout s’est considérablement accéléré. J’avais déjà un feu intérieur, mais les conditions étaient pleinement réunies pour acter tout cela. Les grèves, les manif, le milieu, ça a été une force cruciale. Puis il y a eu la rencontre avec René Michoulier, m’encarter et me battre était alors devenu une évidence ».

France Frederic Vuillaume Back On Trial
Frédéric Vuillaume le 20 mai 2021 à Dijon, en marge d’un énième procès. Il fut poursuivi mais relaxé, pour avoir manifesté contre la « loi sécurité globale » le 5 décembre 2020 à Dijon – Antoine Mermet.


À Besançon, un engagement syndical qui se concrétise
Très actif dans l’académie et secrétaire départemental de « Force Ouvrière », son mentor décédé en 2016 est décrit comme un modèle. « Plus que ses mots, j’ai été sensible à des signes qui comptent. Il portait des chaussures de sécurité et ses ongles apparaissaient écornés, ça me changeait des orateurs lyriques qui rechignaient à mettre les mains dans le cambouis ». Sous le « SNAEN », le « SNFOLC 25 » puis « FO conseil régional Franche-Comté » élargi à la Bourgogne
en 2016, mandats et mobilisations sont devenues la règle et le quotidien. « Toutefois, je ne suis pas propriétaire d’un titre. Les collègues me confient une responsabilité, mais je ne suis qu’un instrument. Lors d’un débrayage ou en négociations, ce n’est pas Frédéric Vuillaume que mes interlocuteurs/interlocutrices ont en face d’elleux, mais l’ensemble des travailleurs/travailleuses. L’ego, la captation et la bureaucratie, très peu pour moi ».

Membre de « l’Union des anarcho-syndicalistes » dont la section locale se retrouve régulièrement à la librairie alternative « l’Autodidacte », le contestataire ne ménage pas ses pairs. « Certain·e·s pourrissent le mot même de syndicalisme, les bouffe-gamelles on en retrouve partout, y compris parfois dans nos rangs ». Tout aussi timoré des versants politiques à qui il oppose méfiance et charte d’Amiens, il s’est rapidement détaché du « Parti Ouvrier Indépendant » (POI) et du « Nouveau Parti Anticapitaliste » (NPA) où il ne fut que sympathisant. L’effervescence de « Nuit Debout » l’a aussi sommairement exalté, mais il s’est vite lassé d’un mouvement « centré sur lui-même, tournant à vide, trop universitaire et intellectuel ». Le cinquantenaire regrette néanmoins cette période où il était encore possible de s’insurger, fustigeant une ère Hollande-Valls qui, selon lui, a marqué un tournant.

Frédéric Vuillaume Retraites 05 12 2020 Dijon
Frédéric Vuillaume lors d’une manifestation contre la « loi sécurité globale », le 5 décembre 2020 à Dijon – Toufik-de-Planoise.


« 
Ce
que je faisais ne me précipitait pas dans la lumière judiciaire et médiatique ! »
« Les reculs étaient déjà palpables, mais c’est avec les gilets jaunes que ça s’est lâché complètement et à grande échelle. Les gaz lacrymogènes, les arrestations, les gens qui perdent un œil… Je ne compte plus mes procès, mon beau-fils a été en prison. Je me souviens qu’en 2016 par exemple, nous avions bloqué la rocade de Micropolis. C’était un acte banal, qui n’avait suscité ni polémique ni répression. À cette période, ce que je faisais ne me précipitait pas dans la lumière judiciaire et médiatique ! ». Courtisé par différentes organisations à des fins électorales, il a toujours décliné les ralliements partisans. « Mon moteur, c’est le pouvoir au peuple. Je ne néglige pas le danger Lepéniste, pour autant je ne veux pas me résigner à choisir entre celui-ci ou d’autres. Les compromissions et mondanités de la gauche, c’est ça qui nourrit la bête. Pour moi un combat efficace, c’est d’abord une perspective anticapitaliste ».

Arrivé sur Planoise au début des années 2000, Frédéric Vuillaume porte un regard positif sur ce quartier. « Mon premier taf durable, c’était au lycée professionnel Tristan Bernard fin 1999. J’ai été rue du Languedoc à partir de 2002, avant de venir près de la Polyclinique où je suis actuellement. J’aime ce secteur, sa population, sa vivacité. Il y a des problèmes bien sûr, mais il faut aussi prendre de la distance avec les quelques journaux qui en font leurs choux gras ». Patriarche d’un foyer recomposé et compagnon d’un bulldog français baptisé « Anarko » qui n’a « ni maitre ni propriétaire » insiste t-il, cette figure sociale reconnaît humblement ses limites quant aux causes soulevées par les nouvelles générations. « Les questions intersectionnelles, c’est vrai que j’ai du mal à comprendre et assimiler. Mais s’agissant là aussi de défendre des droits imprescriptibles, on finit forcément par se retrouver ».

Illustration d’en-tête : Frédéric Vuillaume lors d’une manifestation des « Gilets jaunes », le 1er juin 2019 sur ses terres de Champagnole – Toufik-de-Planoise.

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